Le psy lui explique qu’après l’attentat, son cerveau a opéré une dissociation afin de se protéger. Elle lui dit qu’elle a l’impression « d’être spectatrice » de son « implosion » et le psy lui confirme que c’est « exactement ça », une dissociation. Il lui indique pour conclure qu’elle pourra en faire une BD quand sera venu le temps de la « ré-association« . Car Catherine Meurisse est auteur de bande dessinée. Rescapée de la tuerie de Charlie Hebdo.Le jour fatidique de janvier 2015 quand les frères Kouachi déciment la rédaction de Charlie Hebdo, Catherine Meurisse est en retard par rapport à l’horaire de la conférence de rédaction et à l’agenda des tueurs. Elle n’en est pas moins une victime « collatérale » du premier cercle. Dans « La Légèreté », elle refait le film, depuis son embauche dans le journal satirique jusqu’à un stade avancé de sa résilience.
Le jour où elle est recrutée, elle se représente sortant en dansant de joie et en clamant « Dessinateur de presse, j’ai enfin un métier« . Dans les cases suivantes elle met en scène un « barbu » délivrant un contrat à deux types qui traduisent leur contentement par ces mots: « Tueurs de dessinateurs de presse, on a enfin un métier« .
D’une histoire tragique, consternante, Catherine Meurisse réussit l’exploit de nous faire sourire et même rire entre des cases qui une à une dépiautent l’attentat précédant celui du Bataclan. On la voit tenter de s’échapper d’une situation qui l’étrangle intérieurement. Mais c’est bien compliqué: les cauchemars sont des prisons dont on ne peut pas scier les barreaux. L’actualité la rattrape sans arrêt.
On la voit poursuivie par des journalistes ou constamment encadrée par des gros bras de la police qui la protègent comme un chef d’Etat. « Notre truc c’est la discrétion, disent-ils, faut faire comme si on n’était pas là« . L’un des deux lui dit « Je vous observe, je me calque sur vos habitudes quotidiennes » et (est-ce réel?) lui résume son job par ces mots « C’est pas compliqué Madame, je suis là pour entrer dans votre moule« . La stupéfaction de l’héroïne malgré elle, à l’écoute de ces propos relevant on le suppose du lapsus absolu, est assez bien rendue. Ce qu’il y a de sûr c’est que Catherine Meurisse nous donne un bon aperçu de la tempête qu’elle a traversée, en l’émaillant de détails comiques car c’est son métier. Même lorsqu’elle croit trouver la paix « au bout du monde » en bord de mer, elle tombe sur des affiches « Je suis Charlie ». Ce qui lui fait dire en sortant de chez le primeur: « Je suis radis« . Toute la France était en plein délirium avec il est vrai quelques justifications.
Finalement Catherine Meurisse trouvera refuge -après l’avoir demandé par écrit- à la Villa Médicis de Rome, non comme pensionnaire mais comme simple locataire. Elle y est notamment à la recherche du « syndrome de Stendhal » censé provoquer l’évanouissement par submersion de sensations esthétiques intenses. Cela ne fonctionne pas mais, progressivement, son mal intérieur devient supportable. D’autant plus qu’elle le transpose dans cette bande dessinée savamment dosée, entre pathos et humour bien balancé.
Pour nous aussi lecteurs, les événements de Charlie Hebdo et du Bataclan nous paraissent un peu loin. Avec cet album, Catherine Meurisse nous administre avec pertinence une salvatrice piqûre de rappel, à l’heure où l’embrasement d’un policier au cocktail Molotov le premier mai dernier n’a pas chamboulé plus que ça les journaux de vingt heures, trop accaparés par les présidentielles.
PHB
« La Légèreté », Catherine Meurisse. Dargaud