A vrai dire l’affiche qui sert d’emblème à l’exposition sur Charlotte Perriand est un peu trompeuse, l’intitulé, «de la photographie au design», un peu moins. Il faut dire que cette photo est superbe et très efficace en ce sens qu’elle devrait conduire nombre de visiteurs ne connaissant pas Charlotte Perriand vers les marches du Petit Palais, musée qui lui a ouvert depuis le 7 avril jusqu’au 18 septembre une partie de ses salles en marge de l’exposition vouée à Jean-Louis Forain.
Cette belle photo qui représente Charlotte Perriand porte la mention «photographe inconnu» de même que celle tout aussi fascinante qui la représente lovée dans une de ses créations, la chaise basculante B306. Ces photos ont peut-être été réalisées avec un retardateur, qui sait. En tout cas ce sont les plus esthétiques, certainement les plus abouties, probablement les plus artistiques des 430 clichés exposés aux côtés de 70 meubles qu’elle a conçus.
La photo de départ est un peu trompeuse car elle ne donne pas un avant-goût de l’exposition mais un aperçu du personnage. Pour cette artiste, les appareils photos n’étaient que des outils de travail préalables à ses réalisations que ce soit des photomontages géants et engagés (tendance Front populaire) ou des meubles. Elle s’est notamment servi d’un appareil Kodak ce qui la rend hautement sympathique vis à vis des puristes qui toisent le tout venant avec les marques réservées aux seigneurs.
En outre elle ne se revendiquait pas vraiment photographe. «Je ne suis pas designer, affirmait-elle dans les années 80, je suis architecte». Cette femme née en 1903 (décédée en 1999) était une vraie moderne et incidemment, ne goûtait guère le meuble classique et encore moins l’inspiration classique qu’elle disait relever de la «décadence» d’une époque.
Ses réalisations de mobiliers (chaises, tables…) oscillent entre le raffiné (la fameuse B306) et le rustique (les chaises de berger). On peut lui préférer le versant raffiné, c’est permis. Son inspiration vient également d’objets trouvés et dépouillés comme des vertèbres de poissons. «Nos sacs à dos étaient remplis de trésors, galets, bouts de godasses, bouts de bois troués, balais de crin roulés, ennoblis par la mer» écrira-t-elle.
Et puis il y a la montagne qu’elle aime tant. Une passion que la photo phare de l’exposition rend cette fois à 100%. Les deux refuges qu’elle conçoit à la fin des années 30 sont spectaculaires. Son refuge «tonneau», aux antipodes de la tradition du genre, est présenté à l’extérieur du Petit Palais, juché sur de fins pilotis.
Architecte elle le prouve assurément puisqu’elle s’impliquera sur des chantiers immobiliers d’envergure comme l’aménagement intérieur de l’immeuble Air France à Brazzaville, l’ambassade de France à Beyrouth, l’ambassade du Japon à Paris (elle a travaillé pour le gouvernement japonais en 1940 comme conseillère pour l’art industriel) et puis encore pour la station de sports d’hiver de Méribel jusqu’à celle des Arcs en Savoie.
Finalement ce que l’on retient de cette exposition profuse et divisée en deux accès (la première est exclusive et payante, la seconde, -gratuite- voit les objets de l’artiste disséminés dans les salles d’exposition permanente) c’est le personnage qu’elle révèle : une femme libre parce qu’émancipée, enthousiaste, énergique, ayant travaillé aux côtés d’hommes comme Le Corbusier, Pierre Jeanneret ou Fernand léger. Et on en revient en conclusion à cette photo de départ qui finit par sonner juste. Face à la montagne, on sent Charlotte Perriand respirer, jouissant d’un air probablement frais et certainement pur flattant son buste nu. Mais qui était le photographe ?
PHB
Post-scriptum 1) : La marque de mobilier italien Cassina réédite certains de ses meubles pour ceux que ça intéresse. Et la « maison de thé » de Charlotte Perriand est reconstituée et visible jusqu’en juin au Bon Marché.
Post-scriptum 2) : Il est dommage qu’avec un aussi joli jardin intérieur, les plats servis au restaurant soient au mieux corrects, au pire quelconques. Mais le décor console. C’est comme en haute montagne, on y trouve souvent des spaghettis du niveau d’une cantine scolaire mais le spectacle en rehausse le goût !
Post-scriptum 3): N’oubliez pas qu’au Petit Palais a également lieu l’exposition sur Jean-Louis Forain dont Les Soirées de Paris se font fait l’écho.
Outre la qualité et l’originalité de ce, celle, celui qui sont en général présentés dans les articles des soirées de paris, ceux ci sont toujours réalisés avec l’amour des mots et le goût des autres: c’est donc Ph.Bonnet, et J.Delaporte, entre autres, que je salue au travers de ce commentaire, car l’article à peine parcouru, je rêve de me rendre à l’endroit nommé pour explorer la chose in situ!
P.S: merci pour cette belle photo..