Il faut dire qu’en 1740 on ne se posait sans doute pas les mêmes questions qu’aujourd’hui. Toujours est-il que l’on peut se surprendre à faire un parallèle interrogatif entre cette sanguine réalisée par François Boucher (1703-1770) laquelle sert d’étendard à la collection Horvitz actuellement exposée au Petit Palais et, la publicité Yves Saint-Laurent qui a été il y a peu retirée des réseaux d’affichage. Dans un cas comme dans l’autre, la femme est exhibée comme un objet de consommation.
Sur l’affiche annonçant l’exposition, l’image est légèrement tronquée. Il manque les jambes, largement écartées. Néanmoins elle reste suggestive. Sauf à dire que la personne allongée devant l’artiste attendait des soins médicaux ce qui n’est guère crédible, nous sommes face à une position de nature peu valorisante pour l’image de la femme, ce que l’on a reproché avec le même épithète à la publicité Yves Saint-Laurent avant d’ordonner son retrait. François Boucher était coutumier du fait. Son « Odalisque blonde » ou encore son « Odalisque brune » ont été peintes sous le même angle, pour le moins direct. C’était un maître d’un genre dit « rococo » qui succédait au baroque. Il faisait comme d’autres dans l’imagerie galante avec un grand talent d’exécution.
Sur la publicité Yves Saint-Laurent en outre, les mannequins n’étaient pas entièrement déshabillées, mais un certain mélange de décadence et de lascivité provocante a de toute évidence fini par choquer, du moins ceux qui décident c’est à dire les réseaux sociaux. A juste titre d’ailleurs si l’on y songe, dans une époque où le sexisme est toujours à la lisière du bois, alors qu’il y a encore peu de temps un candidat à la présidence des États-Unis tenait des propos grossiers sur la meilleure façon d’attraper une femme ou encore quand un président en exercice de la Russie vantait au micro la qualité des prostituées de son pays. Que la vigilance soit de mise dans ce domaine relève d’un réflexe proprement humaniste. Renseignements pris à bonne source, il n’y a pas eu ce que l’on appelle une chaîne décisionnelle dont un maillon aurait pu chez Yves Saint-Laurent, bloquer le processus. Selon une « pro » de ce genre d’affaire en effet c’est le « créa » qui s’occupe de tout, du choix des mannequins et de leurs poses et le résultat de son travail n’est semble-t-il pas à discuter.
Mais il est bien vrai que la notion de pudeur est variable selon qu’il s’agisse d’art, de publicité, ou même de presse quand on voit la promotion de titres clairement pornographiques et surtout vulgaires qui s’étalent sur les parois des kiosques à journaux. L’intention, vendre des sacs à main ou vanter une exposition, ferait selon les experts en com’ toute la différence. Quant à la censure morale elle est d’un usage délicat comme celle qui vit s’effacer des cigarettes aux lèvres de personnalités célèbres.
Sans aller jusqu’à « L’origine du monde » de Gustave Courbet œuvre d’une portée anatomique extravagante et sans doute réalisée à partir d’une photo polissonne, il y a au Petit Palais dans la partie gratuite où circulent librement les scolaires, une peinture intitulée chastement « Le sommeil ». Elle met en scène deux femmes nues enlacées. Selon la notice du musée disponible sur internet, on peut lire ceci: « Flattant le goût de son commanditaire, le peintre reprend un sujet de boudoir emprunté aux gravures licencieuses et aux évocations littéraires de l’amour lesbien. Jouant sur le contraste des carnations et des chevelures, il représente deux types de beauté qui s’enlacent dans un désordre de draps soyeux. » Certes, rien de dégradant à cela, seule la pudeur des jeunes visiteurs pourrait s’en trouver tourmentée.
Cependant si tout un chacun peut activer sa capacité de discernement devant le « Sommeil » de Courbet ou la « Femme nue allongée de Boucher » dans une pose des moins équivoques, pourquoi n’en serait-il pas de même devant une publicité? Comme celle au hasard qui suggère la commande d’un homme à configurer soi-même sur un site internet bien connu. Oui mais là il paraît que c’est drôle.
PHB
De même que la maigreur du mannequin « St-Laurent » a choqué, des rondeurs comme celles du modèle de Boucher choqueraient tout autant. Le corps de la femme se monnaye mais aussi se façonne. Quand le milieu de la mode et du luxe sera féministe, on aura peut être le droit à nos rondeurs?
Dans le porno chic, ce qui choque c’est peut être le chic. Pire que l’hypocrisie bourgeoise, la récupération de l’image de la femme libérée au service de quelques bénéfices supplémentaires est odieuse. Chez Boucher et Courbet il y a une sensualité immédiate, totalement absente chez les publicistes qui pervertissent tous.