A condition, bien sûr, qu’ils aient déjà un certain âge, les auditeurs de France-Culture se souviennent de son rire, qui illuminait le rendez-vous dominical « Des papous dans la tête ». Un rire franc et massif, un rire de bonne santé, un rire gourmand qui montre que l’on est bien décidé à croquer la vie à pleines dents.
Mais il y a aussi cette image, glaçante, qui servit d’affiche à Amnesty international pour dénoncer la torture. La mâchoire inférieure décrochée par un coup de marteau. Un supplice réservé à ceux qui réclament la liberté d’expression. L’affiche, qui date de 1976, fut reproduite de façon monumentale à Maastricht en 1989.
Comme un funambule, Roland Topor (c’est son vrai nom) s’est promené toute sa vie entre ces deux extrêmes. Mais son balancier penchait toujours du côté des plus faibles, des sans voix, de ceux à qui l’on a interdit la parole.
Il fut l’un des premiers collaborateurs à Hara Kiri, à une époque où la provocation n’était pas devenue la principale défense de ceux qui n’ont plus d’arguments. Son « coup de poing dans la gueule » connaîtra un succès retentissant . Anar dans l’âme, il ne se définit pas comme humoriste – cela reviendrait à emprunter des sentiers battus – mais comme un « déconneur ». Avec un apparent dilettantisme, Topor, disparu il y a vingt ans à l’âge de 59 ans, ne s’est jamais fixé dans un genre quelconque. Dessinateur, chroniqueur, inventeur de costumes, éditeur, illustrateur, scénariste, auteur de pièces de théâtre et de séries télévisées, on le retrouve dans la plupart des territoires boudés par l’art officiel.
L’exposition que lui consacre la Bibliothèque nationale témoigne de la richesse de cette œuvre multiforme, avec 300 pièces essentiellement graphiques, dessins de presse, illustrations d’ouvrages (en particulier de Boris Vian et Marcel Aymé), affiches de cinéma, dont certaines sont restées dans les mémoires, comme celles de « L’Empire des Sens » ou du « Tambour ». On reverra avec plaisir les interviews et certaines émissions de télévision, comme “Merci Bernard », qui annonçait bien des inventions postérieures de Canal Plus ( “Groland“). Avec Arrabal et Jodorowski, il fonda le mouvement “Panique“ en réaction au surréalisme andré-bretonnant, lui qui en est pourtant l’un des héritiers directs.
Ce que l’on retient de cette exposition qui montre à quel point Topor faisait feu de tout bois pour inventer son époque est un salutaire souffle de liberté, le refus de toute convention, et quelque chose qui ressemble à un amour désespéré de la vie :
« J’ai conservé le dégoût
De la foule et des gourous
De l’ennui et du sacré
De la poésie sucrée
Des moisis des pisse froid
Des univers à l’étroit
Des Staliniens des bouddhistes
Des musulmans intégristes
De tous ceux dont l’idéal
Nie ma nature animale… »
Mais ce sale gosse de Topor était un tendre. A partir des année 1980, il mit son imagination et sa fantaisie au service d’une littérature pour enfants relativement abondante. Il illustra Pinocchio, mit en dessins les contes de Grimm, et surtout inventa une série télévisée qui pastichait la Grand Journal d’informations, “Téléchat“. Bien avant le Guignols, les marionnettes Grouchat – un matou avec un bras dans le plâtre- et Lola – une opulente autruche – officiaient à la grand messe cathodique. Cette série franco-belge ne connut pas moins de 230 épisodes.
Gérard Goutierre
« Le monde selon Topor », Bibliothèque nationale, site François-Mitterrand, jusqu’au 16 juillet. Tout les jours 10h-19h, sauf lundi.
Enfin Topor sort du purgatoire !
Se souvenir que « Le Locataire » de Polanski est tiré du « Locataire chimérique » de Topor…
et que ses « Mémoires d’un vieux con » méritent un coup d’oeil attentif
Merci Gérard , comme il aurait pu dire…
Merci. S