Heureux comme un Baraki en friture

Parfaitement étanches au qu’en-dira-t-on les Barakis s’épanouissent du côté de Charleroi, en Belgique, débordant un peu la frontière avec la France. De l’art de « vivre en jogging en buvant de la bière », la formule de l’auteur résume assez bien assez bien le sens général du livre. Mais elle ne prévient pas les âmes sensibles auxquelles on ne saurait trop déconseiller cette lecture sortie cette année aux Éditions Points.

Il en va par exemple de la description de la « femelle barakie » qui a connu selon Philippe Genion, sa première grossesse à un âge précoce. S’il s’agit d’une majorette, l’une des marottes de ce peuple en marge, il peut lui arriver de « perdre les eaux » pendant un spectacle, « allant jusqu’à expulser et traîner un placenta » sur la scène sans cesser de danser. Laquelle matière organique risque par ailleurs de finir en friture, tellement la famille barakie est décomplexée dès lors qu’il s’agit de cuisiner, afin d’assouvir une fringale permanente. Cette anecdote révèle la matière très spéciale de cette encyclopédie déconcertante, vacharde et malgré tout affectueuse.

Belge, décrit en quatrième de couverture comme gros et épicurien, Philippe Genion pourrait être suspecté d’exagération dans la mesure où sa connaissance du milieu baraki nous est totalement étrangère. Il nous est donc difficile de juger. Cette peuplade nous fait en tout cas penser par bien des aspects au film de Marco Ferreri, « Affreux, sales et méchants », monument cinématographique sorti en 1976. Le livre nous apprend que les Barakis sont comparables, dans une certaine mesure aux « white trash » américains.

Affreux sans doute, sales sûrement, méchants on ne sait pas, mais le regard tout autant moqueur qu’ethnologique de Philippe Genion nous laisse la plupart du temps pantois. Qu’est-ce c’est « dégueulasse » interrogeait Jean Seberg dans « A bout de souffle ». Que de là où elle se trouve l’actrice se procure le livre, elle en aura une bonne idée complémentaire.

Militants inconscients d’un mauvais goût extrême mais pensant tenir le bon, le Baraki expert dans la perception des allocations, déconcerte et stupéfie. Si les ongles de sa femme sont enduits de plusieurs couches de vernis bon marché, cela peut être pour cacher des mycoses mais aussi les cassures dues au fait d’avoir raclé la terre pour trouver des vers. Normalement un ver de terre est là pour participer entre autres à l’écologie du sol mais dans le cas qui nous occupe, les bestioles récupérées servent à enrichir les pizzas en les faisant passer pour des anchois. Une anecdote pareille pourrait nous laisser croire qu’il s’agit d’un sommet d’abjection dans le livre de Philippe Genion, mais non, l’auteur nous emmène de crête en crête, de surprise en surprise, de haut-le-cœur en haut-le-cœur, dans un paysage démographique où le laisser-aller tutoie des niveaux inconnus.

Ainsi et ce sera le dernier exemple cité, un dentiste ami de l’auteur, lui a raconté avoir exploré la bouche d’un vieux Baraki qui n’enlevait jamais son dentier « même pour dormir« . Et on peut imaginer la surprise teintée d’horreur du praticien après avoir ôté l’appareil et découvert qu’un ver vivant prospérait sous la prothèse: « dans une sorte de tapis pâteux formé de divers déchets alimentaires en totale putréfaction« .

Il faut préciser que l’auteur est plutôt drôle dans ses descriptions d’un monde Baraki qu’il finit d’ailleurs, dans son épilogue, par remercier longuement pour leur coopération. D’autre part il les prie de ne pas « se fâcher » pour cette approche aussi précise qu’exhaustive de leur vie « pittoresque« , consistant notamment à faire frire tout ce qui leur passe sous la main, de la saucisse à la barre chocolatée. C’est du reste un peu dans cet état de friture déviante que l’on peut tenter de retrouver ses esprits à la fin de l’opus.

PHB

« L’encyclopédie du Baraki », Philippe Genion. Éditions Points. Dix euros

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Une réponse à Heureux comme un Baraki en friture

  1. Marie-José Sélaudoux dit :

    Merci de votre avertissement qui nous évitera une lecture aussi dégoûtante. Mais, en fait, ne serait-ce pas là une bonne grosse blague de carabin?

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