Le moins que l’on puisse dire est que l’introduction au petit bonheur de modèles Balenciaga dans tous les endroits possibles du musée Bourdelle n’était pas une bonne idée. On a beau nous parler d’un « dialogue » pour le moins « tranchant » entre le sculpteur et le couturier, l’intégration est un peu ratée, indépendamment de leurs hautes qualités respectives. Il est cependant possible que l’idée visait sans le dire à stimuler les visites de ce musée un peu et injustement oublié.
Il est vrai que c’est bien compliqué de se concentrer sur les robes et tuniques de Cristóbal Balenciaga (1895-1972) car la hauteur sous plafond des lieux, ainsi que le caractère monumental des sculptures de Antoine Bourdelle (1861-1929), les noient littéralement dans le décor à quelques exceptions près. Certaines pièces ont dû être juchées sur des échasses (ci-dessus), les rendant inatteignables au regard. Le visiteur des musées parisiens dispose heureusement de capacités d’adaptation qui lui permettent de faire abstraction des défauts d’une scénographie.
Initiée par le Palais Galliera, l’exposition s’intitule « L’œuvre au noir ». Il nous est effectivement donné à voir la vision aristocratique de l’habillement féminin par le couturier espagnol dans une atmosphère de deuil assez frappante. Au point que les rares effets de couleur qui viennent se greffer sur les tissus n’en sont que davantage bienvenus. Il faut de bon yeux pour discerner le raffinement certain des coupes, la délicatesse des boléros, la simplicité très aboutie des jupes, la discrétion savante des capes et autres pèlerines. Quelques robes sont par ailleurs cachées dans des isoloirs à rideaux évidemment noirs. Il faut en écarter les pans pour tenter de les discerner dans une absence de contraste gênante.
Pour la commissaire de l’exposition Véronique Belloir, le choix du noir « incite à comprendre par quelle alchimie la noire substance des étoffes devient vêtement« . Le catalogue édité à cette occasion cite un commentaire assez bien vu et publié dans le « Harper’s Bazaar » en 1938 après le premier défilé du couturier à Paris: « Ici le noir est si noir qu’il vous frappe comme une gifle. C’est un noir épais, espagnol, presque velouté, c’est une nuit sans étoiles, tout autre noir paraît presque gris« .
Balenciaga habillait délibérément les femmes distinguées ou celles qui rêvaient de l’être. Il n’a pas quitté ce parti pris. La cliente qui voulait afficher un peu de joie de vivre n’avait plus qu’à virer chez Dior et avouons-le, on la comprend. Il n’empêche que la production de l’Espagnol avait quand même de l’allure. Si l’on glisse mentalement l’actrice Pénélope Cruz dans sa « robe d’été 1965 » (laize et volants de dentelle mécanique de soie type Chantilly sur ruban de crin dentelle avec un ruban de satin rose -qui change tout-), la démonstration est flagrante. Mais enfin sauf à être comparable à l’actrice ibérique, le risque pour une dame d’apparaître quelque peu guindée dans un tel étui est non nul. A part bien sûr dans les cocktails et réceptions diverses où la raideur est (était) de mise.
Avec ce noir panique, obsessionnel, aux limites de l’opacité, qui fait de nombre de mannequins présentés autant de veuves figées, on peut se demander -outre le choix du lieu et de la scénographie- si l’exposition ne dessert pas davantage « le couturier des couturiers » au lieu de favoriser son tout de même saisissant travail.
PHB
« Balenciaga, l’œuvre au noir », Musée Bourdelle, 18 rue Antoine Bourdelle 75015 Paris, jusqu’au 16 juillet
NB: Déambuler dans le jardin du musée Bourdelle réservait une petite surprise: il se trouve que Antoine Bourdelle a réalisé vers 1909 une sculpture de André Rouveyre (1879-1962), écrivain, journaliste, dessinateur et surtout grand ami de Guillaume Apollinaire.
Cher Philippe,
curieusement votre article me donne vraiment envie d’y aller… Peut-être par esprit de contradiction, mais aussi parce que toutes les expos survantées m’ont ennuyé et que, pour une fois, quelqu’un me laisse finalement juger par moi-même… ça s’appelle un dialogue, et c’est plus stimulant qu’une obligation d’aimer…
et puis, je suppose, connaissant l’endroit, que ça ne sera pas la cohue…
Cher Philippe Person,
Il y avait quand même un peu de monde, la promotion par voie d’affichage ainsi que la notoriété de Balenciaga ont dû jouer. PHB
j’aime passionnément l’oeuvre de Bourdelle. Une visite au musée du grand élève de Rodin, conduit presque toujours à une révélation…
Comme l’évoque Philippe Person, l’inclusion hétéroclite des « constructions » en tissus de Balenciaga au musée, même si celles ci pêchent de ne pas être à l’échelle ou insuffisamment « théâtralisées », m’invite à me rendre compte par moi même des incidents de cette juxtaposition de deux talents révolutionnaires.
Eh bien je partage l’opinion des deux intervenants, tout d’bord j’aime beaucoup de musée Bourdelle justement parce qu’il est un peu délaissé et plein d’atmosphère, ensuite parce que j’adore le noir et blanc (notamment en photo) donc cette exposition me semble plutôt alléchante, bien que tout ce noir ait paniqué Philippe!