Le Musée du Quai Branly égare sa boussole

Ce fragment de statuette anthropomorphe n’est pas le problème. Elle vient de la civilisation Nok, dans l’actuel Nigeria. Sa datation la situe entre 920 et 40 avant notre ère. Non ce qui déçoit beaucoup de bout en bout dans cette nouvelle exposition du Musée du Quai Branly, c’est un titre qui ne tient pas sa promesse. « L’Afrique des routes » était une idée formidable mais d’axes fluviaux, routiers ou ferrés, de trajets mythiques, il n’y a presque rien. L’enthousiasme s’en trouve faussé pour de bon.

Car le sous-titre du prospectus ne ment pas, bien qu’il soit poussif, un peu paresseux: « Dans le sillage des objets, des idées et des hommes ». Bon, on pouvait encore s’y retrouver, s’attendre à une de ces constructions un peu fourre-tout compensée par la qualité des pièces présentées. Mais le musée est tout simplement passé à côté d’une idée forte, ô combien scénique. Il y aurait eu de quoi faire en ne traitant pas de façon aussi marginale la problématique des directions, des voies commerciales ou des liaisons séculaires. Les civilisations par le prisme de leurs déplacements, il y avait là quelque chose d’épais à traiter, une substance visuelle qui aurait transformé nos pas dans les lacis du musée en randonnée jouissive, qui nous aurait transportés en taxis improbables, en camions, en pirogues, tout en jalonnant l’ensemble d’objets riches de significations.

Mais non. La mise en scène nous prive quasi-totalement de ces échappées qu’il n’y avait qu’à saisir, à mettre en scène. Il y a bien quelques cartes anciennes, quelques esquifs pour figurer le rôle de la mer ou des rivières, quelques vues de comptoirs coloniaux, mais on ne voit pratiquement jamais les « routes » promises. Celles qui traversent le désert, la savane, les forêts denses ou les grandes métropoles. Quelle frustration.

Certes le musée déploie des trésors. Mais quel est le rapport avec le titre, entre cette photo montrant des hommes d’affaires dans une rue de Nairobi ou ce cliché certes génial montrant un homme coiffé de câbles sur un site de récupération de cuivre, où se trouve la liaison matérielle, c’est le cas de le dire, avec les voies, les engins de transport? Le visiteur contrarié refera deux fois le parcours, pour vérifier qu’il n’a rien raté, avant de (mal) digérer cet engagement non tenu. Dès lors l’ensemble apparaît comme cruellement hétéroclite, dépourvu de boussole.

On imagine qu’il y a dû avoir des réunions où ces « Routes d’Afrique », ce titre inadapté, faisait pourtant planer ses volutes chargées de rêves. L’on suppose qu’autour des tables, il devait bien se trouver des gens qui pensaient fort que si l’on vend des routes on doit « voir » des routes. Il y a bien quelques cartes animées qui nous montrent l’historique des différentes voies de transit en terre africaine mais elle ne font finalement qu’accentuer le sentiment de privation qui enfle du début à la fin.

Le pire c’est que dans le prospectus de présentation de l’exposition, les deux commissaires  soulignent que « pendant des milliers d’années, les Africains ont voyagé, échangé en suivant les côtes, les pistes, les fleuves, les voies ferrées« . On ne vous le fait pas dire! Il est bien entendu intéressant de voir des objets en ivoire, en or, ou un pain de sel du Mali en ce que toutes ces matières symbolisent leur convoyage vers des marchés éloignés mais les pistes, les routes, les voies de tout genre, oups, on a oublié. Personne n’a su voir  et matérialiser le boulevard scénographique dont les potentialités crevaient pourtant les yeux.

Il y a tout à la fin du parcours un mur de photographies dont deux au moins montrent des camions surchargés en route ou prêts à démarrer avec nos rêves de routes africaines en soute. L’expo avait peut-être un sens mais le faux-titre l’a dissout. Dommage, dommage, dommage, trois fois dommage.

PHB

« L’Afrique des routes », jusqu’au 12 novembre, Musée du Quai Branly

Vue de Saint-Louis du Sénégal à l’exposition « L’Afrique des routes »

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2 réponses à Le Musée du Quai Branly égare sa boussole

  1. philippe person dit :

    Chaque fois que je suis allé voir des expos au « Musée Chirac » (on comprend mieux ce que cela implique), j’ai eu le même sentiment que vous avec cette expo.
    C’est toujours alléchant : et c’est toujours décevant… Avec des « scénographies » prétentieuses pour finalement peu de choses intéressantes…
    Vive le Musée de l’homme… en cette année du centenaire de Jean Rouch… que le Musée Chirac ne fêtera évidemment pas (j’espère me tromper !)

    • Charles Rozais dit :

      A priori il y aura quelques manifestions à l’automne au MQB durant l’année de la célébration des 100 ans de Jean Rouch. Ce n’est pas encore sur le site http://jeanrouch2017.fr/fr/ mais cela à été annoncé à la conférence de la semaine dernière à la Mairie de Paris

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