Rentrée lyrique parisienne: cap sur Wagner et Offenbach

Comme le savent les aficionados, Rolando Villazón, ténor mexicain ayant adopté Paris, « new super star tenor » du milieu des années 2000, a quasiment perdu sa voix quelques années plus tard mais demeure toujours très populaire auprès de son public parisien. Depuis novembre dernier, il compare Trump au Joker sur son site:
«  Gotham has voted. The Joker has won », écrit-il. Comme quoi les ténors peuvent s’intéresser au monde qui les entoure, puisque nous allons bientôt savoir si le nouveau président des Etats-Unis peut rivaliser avec le très diabolique Jack Nicholson du film de Tim Burton, « Batman », sorti en 1989. Quant aux inconditionnels de Villazón, ils pourront bientôt le retrouver dans Monteverdi au Théâtre des Champs-Elysées.

On voit mal cet autre « super star ténor » qu’est Jonas Kaufmann se permettre une telle incursion hors de son domaine. Bien qu’assez intello lui aussi, il est trop allemand, trop discipliné. S’il n’a pas connu les mêmes déboires vocaux que son confrère mexicain, il vient cependant de traverser une mauvaise passe, et son retour sur scène constitue l’un des grands événements de la rentrée lyrique. Le coup de tonnerre date de septembre dernier, lorsqu’il dut annuler une série de concerts, puis toutes ses prestations, une à une. Sachant que les grands chanteurs ont un calendrier rempli quatre ans à l’avance, on imagine la déflagration sur les scènes d’opéra du monde entier, et les innombrables commentaires prédisant la fin prochaine du plus grand ténor du moment.

Plus éclatante la gloire, plus dure serait la chute, et plus rigoureux doit-on être avec sa voix, les stars de l’opéra devant vivre constamment avec cette épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête. Qu’est-ce qu’une voix, même la plus grande de toutes, sinon deux petites cordes vocales de rien du tout ? Mais le sage Jonas s’est contenté de suivre les conseils de son médecin, nous expliquant que « les effets secondaires d’un médicament ont fait éclater une petite veine sur ses cordes vocales et qu’il devait donc arrêter de chanter jusqu’à ce que l’hématome se soit complètement résorbé pour éviter des lésions irréversibles. »
«  Ainsi, c’est le cœur gros que je dois aussi annuler mes représentations des « Contes d’Hoffmann » à Paris. », ajoutait-t-il. Effectivement, nous qui l’attendions le cœur battant dans le rôle titre des « Contes d’Hofmann » d’Offenbach sur la scène de Bastille en novembre dernier, allons le retrouver enfin, très bien entouré, à partir du 18 janvier dans « Lohengrin » (seulement 5 représentations avec lui).

Ce Lohengrin qu’aiment même ceux qui ne sont pas wagnériens, tant il est à part dans le corpus du maître allemand. Lohengrin, vous savez bien, c’est le chevalier au cygne. Beaucoup moins ténébreuse que toutes ces histoires moyenâgeuses parsemant « La Tétralogie », la légende s’apparente au conte de fée. Le preux chevalier revêtu de son armure étincelante arrive dans une barque tirée par un cygne pour sauver Elsa, la fille du roi, des noirs desseins du comte de Telramund. Mais après l’avoir épousée, le mystérieux chevalier met en garde la jeune mariée : »Tu ne dois jamais me demander d’où je viens, Elsa » la prévient-il. « Jamais! Si tu romps cette promesse, je serai perdu pour toujours. » Vous imaginez ce qui arrive un jour, et pourquoi Lohengrin repartira à tout jamais, enlevé dans les airs par son cygne vers le château du Graal.

Lohengrin en CD. Photo: LBM

Etant donné que la mise en scène de cette production, signée Claus Guth , vient de la Scala de Milan, nous savons que nous n’aurons pas le droit de voir arriver le beau Jonas accompagné de son cygne. En 2012, à la Scala, le « petit génie » radical de la scène allemande avait transformé le flamboyant chevalier en une créature apeurée et tremblante, et Jonas Kaufmann était pleinement entré dans la peau de ce héros très humain. Si vous n’avez pas déjà réservé vos places depuis bien longtemps, vous pourrez vous consoler avec le très beau DVD Decca de 2009 dans lequel Jonas retrouve, dans le rôle d’Elsa, une de ses partenaires habituelles, la grande soprano dramatique allemande Anja Harteros.

« Offenbach sait faire comme le divin Mozart », aurait dit Wagner. Ce que nous pourrons vérifier en février en passant de la scène de Bastille à celle du Châtelet pour assister au « Fantasio » programmé par l’Opéra Comique. Car les travaux durant plus que prévu à l’Opéra Comique dont l’ouverture est reportée au mois d’avril, le Châtelet, avant de fermer à son tour pour travaux, accueille cet événement rarissime à ne pas manquer. Non seulement parce qu’Offenbach est un génie musical inventeur de l’opéra bouffe, mais parce qu’il s’agit d’une œuvre rarement donnée.
Il faut savoir que ce « Fantasio » est adapté d’une pièce de théâtre signée par Musset,
créé en 1866 après la mort de l’auteur. Nous sommes au début des années 1870, période pendant laquelle Offenbach cherche un second souffle après ses chefs d’œuvre estampillés Second Empire. Délaissant ses habituels complices Meilhac et Halévy, il se tourne vers le frère ainé du poète pour lui demander de lui écrire un livret adapté de la pièce. L’œuvre sera jouée quatorze fois, et sombrera, comme on dit, dans l’oubli, jusqu’aux années 2000.

La lecture du livret fait d’abord penser aux « Caprices de Marianne », du même Musset, le personnage de Fantasio, revenu de tout, évoquant celui du cynique Octave (immortalisé par Gérard Philippe à l’époque du TNP sur la scène de Chaillot). Mais l’histoire finira mieux, puisque Fantasio parviendra à sauver la princesse Lisbeth d’un mariage forcé avec le stupide prince de Mantoue. Nous voilà à nouveau en plein conte de fée, mais aussi en plein romantisme, une veine assez inhabituelle pour Offenbach, généralement attiré par l’humour et la satire.
Le seul air un peu connu de « Fantasio » est la « Ballade à la lune » (on peut l’écouter sur Youtube par Sophie von Otter dirigée par le grand chef offenbachien Mark Minkowski)
« C’était dans la nuit brune
Sur le clocher jauni
La lune
Comme un point sur un i… ». 

Le CD de Suzy Delair. Photo: LBM

Encore un de ces airs qui, grâce au génie mélodique d’Offenbach, vous entre dans l’oreille et le cœur pour ne plus vous quitter, comme la « Chanson de Fortunio », beaucoup plus célèbre, dont la merveilleuse Suzy Delair a enregistré une version d’anthologie.
Disons enfin que la production présentée au Châtelet propose une distribution de rêve, avec Mariane Crebassa dans le rôle de Fantasio. Enfin un rôle à la mesure de cette magnifique jeune mezzo française très appréciée en Allemagne, que l’on a trop peu entendue sur les scènes françaises. Elle sera notamment entourée de Franck Leguérinel et Jean-Sébastien Bou, interprètes aguerris de ce répertoire.
Le metteur en scène Thomas Jolly fait ses débuts à l’opéra, et avec le directeur musical, Laurent Campellone, ils ont, paraît-il, modernisé le livret. Comptons sur l’Orchestre National de France pour rendre justice à la partition d’Offenbach.

Lise Bloch-Morhange

Opéra National de Paris Bastille, « Lohengrin », Wagner, du 21 janvier au 5 février.
Théâtre du Châtelet, Opéra Comique, « Fantasio », Offenbach, du 12 au 27 février.
Théâtre des Champs-Elysées, « Le retour d’Ulysse dans sa patrie », Monteverdi, du 28 février au 13 mars.

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