C’est une drôle de petite plage bordée de pneus. On peut supposer que cette présence a priori insolite vise à éviter que la faune lacustre vienne l’envahir. Une rangée de barques à l’arrière semble indiquer un usage réservé. Le paysage alentour est un mélange de vie sauvage et d’ensembles résidentiels. Le style des immeubles, surtout ceux poussés dans les années quatre-vingt, leur épargnera pour toujours les honneurs du prix Pritzker, l’équivalent du Nobel dans le domaine de l’architecture.
Ce lundi matin de janvier 2017, dans l’attente d’un froid glacial maintes fois annoncé, le décor nous laisse croire captifs d’un film de Jean-Pierre Melville. À nos pieds, le lac de Créteil.
En fait le film est pour les usagers de la ligne de métro numéro huit Balard-Créteil. Ses deux extrêmes ne sont pas égaux. La station Balard ne dépaysera jamais un parisien. Elle débouche sur le boulevard extérieur, il y des bus, des bistrots, un tramway, les fonctionnaires du ministère de la Défense, des sièges de journaux ou de télévision: Balard c’est encore Paris.
Alors que la station de métro « Créteil-Pointe du Lac », vingt kilomètres et trente-huit stations plus loin, constitue avec près d’une heure de trajet, un objectif littéralement extrême. Sur les cent millions de passagers qui empruntent chaque année la ligne, qui songerait sauf les habitants de Créteil à pousser aussi loin ? Un jour cependant, la curiosité se fait plus forte. La station « Créteil-Pointe du Lac » existe depuis 2011 seulement, soit près de cent ans après la mise en service de la ligne. Il suffit de descendre une petite rue scindée en son milieu par un genre de ruisseau artificiel et voilà le visiteur face au lac de quarante hectares. Devant une étendue d’eau et de ciel qui épanouit tout de suite le regard et dilate l’esprit. Un peu comme si le métro avait pris la liberté subite d’aller voir la mer.
Mais ce n’est qu’un plan d’eau issu de la domestication de vieilles sablières. Il est pour partie entouré d’immeubles souvent neutres ou bloqués à l’âge ingrat. La présence de l’eau, de nombreux oiseaux sauvages, d’une végétation animée par un vent léger, invite néanmoins le promeneur à en faire le tour. Un lundi matin de bonne heure, le périmètre a quelque chose d’abandonné. Les habitants sont rares, les « people » n’en parlons pas. Il y a une sorte de charme ambiant qui doit beaucoup à ce que le métro n’offre jamais. Le tout emprunte au Canada, au moins dans ce que nous en imaginons, surtout pour le versant non bordé d’habitations. On se laisse distraire à la fois par l’imposant bâtiment qui habite notamment la préfecture et les amerrissages réguliers d’oiseaux sortis tout droit d’un album sur la vie sauvage. La boue colle aux baskets et garnit le bas du pantalon, le boulevard des Capucines est bien loin. Quand le regard oblique de gauche à droite ou inversement, il passe d’une mosquée toute neuve à une réunion de palmipèdes ovationnant la vie lacustre en de bruyants cancans.
C’est si sympathique que la promenade s’avère trop courte. Contrairement au lac d’Enghien d’une superficie équivalente, un sentier a été aménagé ici sur presque toute la circonférence. Il n’y a qu’à proximité de la préfecture que l’on est obligé de faire un léger détour. Juste avant de retrouver le métro, après une petite heure de marche, un panneau prévient d’un vaste projet régional, la « Tégévalienne » qui offrira une tangente de vingt kilomètres supplémentaires. Une voie verte interdite aux voitures dont une petite partie seulement a été réalisée depuis 2013. L’achèvement prévu pour 2020, permettra aux piétons de faire en toute quiétude le trajet Créteil-Santeny, le tout dans le Val de Marne.
En attendant ces lendemains écologiquement vertueux, le lac de Créteil offre à maints égards un déphasage insolite. En ressortant plus tard au métro Bonne Nouvelle, Invalides ou Boucicaut, on sait que l’on ne regardera plus jamais la ligne huit comme avant. Là-bas, tout au bout, il y a des échassiers qui trempent leurs pattes sur les bords du lac en fouillant les sols humides d’un regard aussi concentré que circonspect. Les immeubles environnants accentuent ce contraste si particulier qui participe au plaisir globalement éprouvé, inattendu et bienvenu.
PHB
Bien agréable, Philippe, de faire cette belle ballade bien au chaud chez soi en ces jours de froidure…
Il y a en effet beaucoup à apprendre et à voir en allant au bout des lignes du métro parisien. Et en premier lieu, qu’au-delà du périphérique, existe une planète nommée banlieue. Un monde le plus souvent ignoré du « parisien de Paris », tout surpris lorsqu’il s’y aventure (quelle bravoure!) de découvrir d’autres réalités, d’autres visages, d’autres vies que ceux du « swinging » Paris. Mais bon, ce Paris extra-muros sait se faire modeste et discret. Sauf lorsque tel ou tel « quartier » entre en éruption. Mais la parenthèse est bien vite refermée. Alors oui, laisser parfois nos pieds, la Ratp et notre curiosité nous emmener au-delà de notre rassurant univers connu est un moyen de s’ouvrir à un alter-quotidien qui n’est pas le nôtre.