Un certain nombre de gens ont laissé leur vie sur le sol de la place de l’Indépendance (Maïdan) à Kiev. Ils ne voulaient plus d’un pouvoir qu’ils estimaient corrompu. Des dizaines de morts et pas loin de 700 blessés pour déloger Victor Ianoukovytch: ce mois de février 2014 a été rude et les Ukrainiens continuent de payer au prix fort ce qui s’est ensuivi. Tout cela parce qu’au tout début…
…il n’y avait rien, ni terre, ni soleil, « seulement une mer toute bleue » au milieu de laquelle poussait un grand érable. Et depuis cet arbre, des colombes divines s’évertuèrent à créer une sorte de paradis terrestre si grand que l’on ne « pouvait la traverser en un jour, ni à pied, ni à cheval« . Ce pays comptait des montagnes, du haut desquelles vivaient jusqu’à plus de cent ans, des femmes houtsoules « qui tissaient des nuages blancs avec la fumée de leurs pipes« .
Avec le « Conte sur Maïdan », les Editions Bleu & Jaune (la couleur du drapeau ukrainien ndlr) et l’auteur Khrystyna Lukashchuck, ont voulu expliquer aux enfants les événements qui ont fait couler tant d’encre et de sang il y aura bientôt trois ans au mois de février.
Ce « Conte sur Maïdan » c’est un peu le pendant édulcoré de l’émission de géopolitique « Cartes sur table ». Ayant brossé le portrait d’un pays qui comptait tout ce dont les habitants pouvaient avoir besoin pour être heureux, sans compter les visites impromptues de Saint-Nicolas au mois de décembre, Khrystyna Lukashchuck est bien obligée d’expliquer en substance aux enfants et dès le premier tiers du livre, qu’après avoir connu sa phase plateau, le bonheur entame toujours son déclin avant de plonger dans la nuit. C’est pourquoi écrit-elle, en regard de ce pays radieux, il y avait des « voisins jaloux » qui « lorgnaient cette contrée fertile comme des bêtes sauvages« . Qui se « jetèrent plusieurs fois sur l’Ukraine, tels des rapaces noirs, afin d’en arracher un bout« .
C’est pourquoi encore, après une succession de mauvais dirigeants, un peuple excédé descendit sur Maïdan. « Ils voulaient mettre fin à l’injustice et à la pauvreté. » Comme ils chantaient, Maïdan se « transforma en cathédrale à ciel ouvert« . Sauf qu’un jour au lieu des colombes divines, ce fut les berkouts, les forces spéciales anti-émeutes ukrainiennes, qui fondirent sur la place. Il y eut un assaut et des « garçons jeunes et beaux » y ont perdu la vie. Emmenés au ciel par les colombes divines sur leurs ailes, ils sont désormais « très haut dans le ciel« . Et là où le sang avait coulé, un arbre pousse désormais.
Non seulement ce « Conte sur Maïdan » est bien raconté, y compris pour les grands longuement formatés par l’info en continu, mais il est aussi joliment illustré par l’auteur. Ce qui est beaucoup plus rare pour un conte, c’est d’abord que tout est vrai y compris les colombes divines et que les bénéfices liés aux ventes seront reversés à une association d’aide aux enfants ukrainiens.
Maïdan au fond, c’est comme l’effet de la propagation d’une onde à la surface de l’eau. En rides successives, elles s’éloignent avec armes et bagages, dont ce « Conte sur Maïdan », qui vient d’arriver sur nos berges. Mais elles ne reviennent jamais d’où elles sont parties. Cet article en est néanmoins et à bon droit le récépissé.
PHB
« Conte sur Maïdan » Khrystyna Lukashchuck, Les Editions Bleu & Jaune, 18 euros