C’est indéniablement et à juste titre l’événement littéraire de la rentrée. Et s’il a frôlé de près les Prix Goncourt et Interallié 2016, il n’en a pas moins obtenu le Prix Goncourt des Lycéens, celui du Premier roman ainsi que celui du roman Fnac, et fait partie des meilleures ventes de livres de cet automne. Le Burundi est ce “Petit Pays” qui donne son titre au premier roman de l’auteur-compositeur-interprète franco-rwandais Gaël Faye, paru aux Editions Grasset en août dernier.
D’une superficie de 27 834 km2, situé en Afrique de l’est, entouré à l’ouest par la République démocratique du Congo, au nord par le Rwanda, à l’est et au sud par la Tanzanie, il possède un important rivage sur le plus long lac d’eau douce du monde : le lac Tanganyika. Et, si l’on en croit l’auteur, ce “Petit Pays” est, avant tout, un beau pays.
Avant d’en faire le sujet de son livre, le slammeur qu’est Gaël Faye avait tout d’abord écrit une chanson sur sa terre natale pour un album très personnel : “Pili Pili sur un Croissant au Beurre”, sorti en 2013.
“Petit Pays”, lui, n’est pas un roman autobiographique, même s’il s’inspire largement du vécu de l’écrivain. En 1992, le narrateur, Gabriel, dix ans, vit à Kinanira, confortable quartier d’expatriés de Bujumbura, la capitale du Burundi, avec son père, un entrepreneur français, sa mère, une beauté rwandaise, et sa petite sœur Ana, de trois ans sa cadette. Quand il n’est pas à l’école française, le jeune garçon passe la plus grande partie de ses journées avec sa bande de copains, les “Kinanira Boyz”: Gino, de père belge – professeur en sciences politiques à l’Université – et de mère rwandaise, les jumeaux, également métis avec une mère burundaise et un père français, propriétaires d’un magasin de location de cassettes vidéo, et Armand, le seul véritable burundais du groupe, avec ses deux parents burundais, dont le père est diplomate. La joyeuse bande joue dans l’impasse où se trouvent leurs maisons respectives ainsi que dans un vieux Combi Wolkswagen, leur refuge secret.
Dans ce quotidien paisible, les domestiques des parents de Gabriel revêtent aussi toute leur importance. L’auteur en brosse de magnifiques portraits : Prothé, le vieux cuisinier, Donatien, le fidèle contremaître zaïrois, et Innocent, un jeune burundais d’à peine vingt ans, chauffeur de l’entreprise, mais avant tout, homme à tout faire. Gabriel vit ainsi une enfance douce et heureuse qui lui semble on ne peut plus normale… jusqu’à ce que les choses se mettent à changer. “Le bonheur ne se voit que dans le rétroviseur” constatera amèrement le sage Donatien.
Tout d’abord, peu avant Noël, ses parents se séparent. C’est le premier traumatisme. Gabriel passe pour la première fois les fêtes en tête à tête avec son père tandis que sa mère emmène Ana dans sa famille à Kigali au Rwanda. Les Noëls en famille ont pris fin. A ce malheur personnel viennent s’ajouter, par vagues successives allant crescendo dans l’horreur, d’autres drames : l’assassinat du premier président élu démocratiquement, les journées “ville morte”, la guerre civile, le génocide rwandais… Le quartier dans lequel Gabriel vivait en toute sécurité se voit soudain bouleversé, menacé. La violence y règne désormais en toute impunité. Gabriel voit brutalement sa vie basculer, la peur l’habiter au quotidien. Lui qui se croyait simplement un enfant, que son père tenait à l’écart de toute discussion politique, se découvre métis, Tutsi… C’est à n’y rien comprendre.
“Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie.” Personne n’en sortira indemne.
Ce livre est une belle révélation. Il respire la tendresse. On en ressort bouleversé. D’une grande fluidité, il est remarquablement bien écrit et dénote une sensibilité et une pudeur qui font tout son charme. Aussi l’auteur a-t-il su relever la difficile gageure d’éviter tout pathos avec un sujet d’une telle gravité. En racontant l’histoire du point de vue d’un enfant, il aborde les événements de biais et ménage en quelque sorte le lecteur.
La plus grande partie du livre nous parle d’une Afrique où il fait bon vivre et où Gabriel est un garçon heureux, une Afrique qui fait rêver. C’est un peu Marcel Pagnol au Burundi avec ses jeux d’enfant ou le Petit Nicolas avec sa bande de copains. Le livre est loin d’être dénué d’humour et comporte même parfois des scènes très drôles comme, par exemple, celle de la circoncision des jumeaux.
Puis lorsque tout un chacun n’a pas d’autre choix que de se positionner dans cette guerre tragique et que Gabriel s’agrippe de toutes ses forces à son enfance, à son insouciance, il y a cette belle amitié qui naît entre lui et Mme Economopoulos. La vieille voisine grecque lui prête les livres de sa bibliothèque et ensemble ils se réfugient dans la littérature, loin du monde.
“Petit Pays” parle avant tout de la nostalgie de l’enfance, de ce paradis perdu à jamais. “Je tangue entre deux rives, mon âme a cette maladie-là. Des milliers de kilomètres me séparent de ma vie d’autrefois. Ce n’est pas la distance terrestre qui rend le voyage long, mais le temps qui s’est écoulé.(…) Je pensais être exilé de mon pays.(…)j’ai compris que je l’étais de mon enfance.” dira le narrateur, une fois adulte et installé en France.
Quant à l’auteur, né tout comme le narrateur en 1982 à Bujumbura, après avoir vécu en France et en Angleterre, il s’est installé depuis un an au Rwanda avec femme et enfants.
Un livre à lire. Un écrivain à suivre.
Isabelle Fauvel
“Petit Pays” de Gaël Faye, Editions Grasset. Prix du roman Fnac 2016. Prix du premier roman 2016.
Album “Pili Pili sur un Croissant au Beurre” (2013).
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