Apple n’a pas inventé grand-chose. La datation de cette tablette chinoise la situe entre 2300 et 1500 avant Jésus-Christ. Elle est restée longtemps vierge avant d’être gravée à partir de poèmes écrits par l’empereur Qianlong (1746-1754). Cet objet de vénération, transmis de génération en génération, est constitué de bois et surtout de jade, pierre composite qui fait l’objet d’une exposition particulièrement raffinée au musée Guimet.
Le mot jade en chinois se dit « yu ». Les trois traits horizontaux qui composent l’idéogramme représentent de haut en bas le ciel, le souverain et la terre. Le souverain fait la jonction entre les deux, au propre comme au figuré. C’est tout le sens de la culture « céleste ».
Que ce soit dans les collections permanentes du musée Guimet ou celles rassemblées pour l’exposition qui a commencé le 19 octobre, le « design » chinois est une magistrale leçon de modestie. Qu’il s’agisse d’une coupe, d’une statuette, d’un ornement, l’art chinois est extraordinaire de maîtrise et de modernité et ce bien avant l’ère chrétienne.
Ici, presque rien n’est monumental. Il faut peser du regard sur chaque objet présenté pour en découvrir un intérêt qui ne saute pas forcément aux yeux. Mais la (bonne) surprise est toujours au rendez-vous.
D’emblée il y a cette sphère de la dynastie Ming (1368-1644) symbolisant justement le ciel, la terre et l’homme. Elle est incroyable d’équilibre, ses mensurations semblent parfaites et son propos spatial est déroutant de clarté. Située en tête de parcours elle nous lave d’un coup nos pensées polies par les artisans contemporains de l’info en continu. Voilà que nous accédons à un monde spirituel où l’élévation n’est pas un vain mot, mais une discipline de vie.
Le parcours scénographique nous emmène par étapes des temps anciens à l’utilisation du jade à l’époque de l’art-déco. Le court trajet est en outre parsemé de citations qui valent bien davantage que les « phrases sorties de leur contexte » émaillant les dernières sorties en librairies. A partir du quatrième siècle avant Jésus-Christ, il était dit par exemple que « le maître de cérémonies religieuses rend hommage au Ciel avec le bi vert » et qu’il rend également « hommage à la Terre avec le Cong jaune« . Réemployée de nos jours au cours d’une conversation conflictuelle, cette citation émanant du rite des Zhou, aurait de quoi déconcerter efficacement plus d’un interlocuteur.
Le jade n’est pas constitué d’une seule matière mais de jadéite, de trémolite et de kosmochlor. Par commodité langagière on a retenu le premier terme pour façonner un vocable. Cet assemblage si particulier a fait dire à un certain monsieur Cao Zhao au 14e siècle que « tenir dans la main des jades chauds et jaunes du Khotan » équivalait à « un courant céleste » vous coulant dans les mains. Le jade a inspiré de bien jolies remarques par ses adeptes et thuriféraires, pertinemment mises en valeur par ceux qui ont conçu cette exposition.
Pour la réunion de toutes ces pièces précieuses, plusieurs musées ont été mis à contribution dont celui de Fontainebleau. Car il nous est rappelé que le Palais d’été de Pékin a été pillé par les armées anglaise et française en 1860, suscitant notamment la colère de Victor Hugo. Le général en chef du corps expéditionnaire tricolore a fait parvenir de nombreux objets à Napoléon III et à l’impératrice Eugénie, cette dernière saisissant l’occasion pour créer un « musée chinois » au château de Fontainebleau.
L’exposition se termine avec Coco Chanel qui s’est procuré de nombreux paravents en laque de Coromandel comportant des éléments en jade. Elle aimait se faire photographier devant. On n’en mesure que mieux avant de quitter à regret les lieux, le chemin parcouru par cette pierre précieuse.
PHB
« Jade, Des empereurs à l’art-déco » jusqu’au 16 janvier 2017 au musée Guimet