On ne présente plus Xavier Dolan. Il semble impossible de n’avoir jamais entendu parler du jeune prodige québécois. En six films d’une force et d’une maîtrise incroyables – “J’ai tué ma mère” (2009), “Les amours imaginaires” (2010), “Laurence anyways” (2012), “Tom à la ferme” ( 2013), “Mommy” (2014) et “Juste la fin du monde” (2016) sorti cette semaine – et un septième en cours de tournage,“The Death and Life of John F. Donovan”, le jeune réalisateur-scénariste-acteur-producteur d’à peine vingt-sept ans a su imposer avec talent son style novateur et exacerbé, couronné par de nombreux prix prestigieux.
Tel un Rainer Werner Fassbinder avant lui, la fulgurance de ce début de carrière ne peut que forcer l’admiration et le respect.
Cinéaste de la différence et des relations familiales à la sensibilité à fleur de peau, son univers n’est pas très éloigné de celui du dramaturge Jean-Luc Lagarce (1957-1995). Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que Xavier Dolan ait choisi d’adapter au cinéma “Juste la fin du monde”, la pièce éponyme de Lagarce. Ecrite en 1990 alors qu’il se sait atteint du sida et condamné, celle-ci raconte le retour d’un écrivain dans son village natal, après douze ans d’absence, pour annoncer à sa famille sa mort prochaine. Son arrivée fait ressurgir souvenirs, rancunes et rancœurs, non-dits et tensions familiales. Ce thème du retour parmi les siens est un thème cher à Lagarce, présent dans nombre de ses pièces, telles “Derniers remords avant l’oubli” (1987), “J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne” (1994) ou encore “Le Pays lointain” (1995).
Adapter au cinéma un des auteurs contemporains les plus joués en France pourrait sembler en soi une gageure. Ce serait compter sans le génie de Xavier Dolan, son art à montrer l’incapacité des êtres à communiquer entre eux, son souci du détail et son immense talent de directeur d’acteurs.
Déjà, dans ses précédents opus, on pouvait louer le jeu de ses fidèles actrices québécoises –Anne Dorval, Suzanne Clément ou Monia Chokri, que l’on retrouvait avec bonheur de film en film –, les performances masculines – Xavier Dolan lui-même, Niels Schneider, Melvil Poupaud, Antoine-Olivier Pilon… – étant tout aussi remarquables. Dans “Juste la fin du monde”, il n’y a plus d’accent québécois, mais une belle pléiade d’acteurs français que l’on retrouve ou découvre au summum de leur art : Gaspard Ulliel dans le rôle principal de Louis, Nathalie Baye dans celui de la mère, Léa Seydoux, Suzanne, la sœur, Vincent Cassel, Antoine, le frère, et Marion Cotillard, Catherine, la belle-sœur.
Grand Prix au dernier Festival de Cannes, ce film est une grande réussite, un concentré d’intelligence et de sensibilité. Dolan s’est glissé avec talent dans l’univers de Lagarce. C’est tout autant du Dolan que du Lagarce. Bien que l’accent québécois ne soit plus au rendez-vous, comme nous l’avons déjà indiqué, on reconnaît bien là la touche du jeune réalisateur : maquillage outrancier et tenue vestimentaire un rien ringarde des personnages féminins, gros plans, ralentis, coupes franches, sens esthétique poussé parfois à son paroxysme, BO minutieusement travaillée – saluons, au passage, la composition de Gabriel Yared –.
En adaptant ce texte dramatique au cinéma, Dolan a su éviter de nombreux écueils, faisant ainsi preuve d’une grande maturité. Tout d’abord, celui de faire du théâtre filmé. Afin de capter au mieux les émotions de ses comédiens, il les a filmés au plus près, en gros plans. Rien n’échappe à la caméra : le moindre sourire gêné, la plus petite hésitation, un regard voilé ou embarrassé… Tout est là. De plus, il a souhaité garder la tension du huis-clos en tournant essentiellement des scènes d’intérieur ( le salon, la chambre de Suzanne, le débarras, la cuisine, la voiture d’Antoine, la salle à manger…) dans lesquelles, tout comme les personnages, le spectateur étouffe et se sent à l’étroit.
Il a aussi réussi à parer l’écueil de la caricature et des premières impressions. Très vite, le spectateur pourrait se demander ce que vient faire cet auteur raffiné et sensible dans cette famille de beaufs. Or, en avançant dans le film, le spectateur réalise que les « beaufs » ont aussi une sensibilité, même s’ils l’expriment peut-être maladroitement ou différemment. Ils ont pu souffrir de l’absence de ce fils/frère, de son désintérêt pour eux, de sa réussite qu’il n’a pas souhaité partager. Ce sont des êtres humains, ni pires, ni meilleurs que Louis, et tous souffrent de cette incommunicabilité et de ce manque d’écoute qui persistent entre eux.
Antoine, brute épaisse au langage de charretier, semble distant de Louis et à des années lumière de son cadet, mais il a appelé son fils Louis, ce qui n’est pas anodin. Lorsque Louis finit par prononcer les paroles que tout un chacun souhaitait entendre, il le presse de partir, sachant qu’il ne s’agit là que de mensonges. Il ne peut en supporter davantage. Cela fait trop mal. Suzanne, la petite sœur, ne connaît pas ce frère qui est parti lorsqu’elle était encore enfant, mais les murs de sa chambre sont couverts de coupures de journaux à la gloire du dramaturge. Et ce frère méconnu ne lui pose aucune question sur sa vie, ne cherche pas à savoir qui elle est. Catherine, la belle-sœur un peu nunuche et bafouillante, comprend bien plus de choses qu’elle ne le laisse paraître et quand Louis s’apprête à se confier, elle le presse de parler plutôt à Antoine.
Ce retour auprès des siens pour annoncer sa fin prochaine n’est-il pas, au fond, un prétexte pour faire son propre deuil du passé ? Louis semble revenir plus pour lui-même que pour les autres, les lieux de son enfance étant sa petite madeleine de Proust en quelque sorte.
Si cette histoire nous touche autant, c’est parce qu’elle est bien racontée évidemment, mais aussi magnifiquement interprétée. Les cinq comédiens sont absolument époustouflants !Tous bankables et stars du grand écran, on a l’impression de les découvrir réellement pour la première fois, oubliant tous les rôles précédents dans lesquels on a pu les voir auparavant. Dolan a su les mener très loin dans l’art de l’interprétation, les pousser dans leurs retranchements et faire surgir d’eux une vulnérabilité inédite. Leurs personnages ne sont que fêlures. Certaines scènes sont d’une puissance incroyable telles celle, quasi muette, où Nathalie Baye serre son fils dans ses bras, comme pour un adieu non avoué.
En exergue de son film, Xavier Dolan indiquait “Il y a quelque temps quelque part”. Et c’est bien vers l’intemporalité et l’universalité que tend cette magnifique histoire cinématographique.
Isabelle Fauvel
Lire la chronique du précédent film de Xavier Dolan par Guillemette de Fos parue dans Les Soirées de Paris le 15 octobre 2014, “Mommy, mon poing dans ton cœur”
Quel ennui ce film ! Le seul moment qui m’a fait espérer est quand Antoine va donner un coup de poing à Louis. Quelle déception quand il y renonce mais il est vrai que taper sur une telle larve est sans espoir. Une lueur toutefois, Louis va mourir. Enfin on le souhaite…
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