« Frantz », c’est avant tout un Ozon : son style, sa patte, tout y est présent du premier plan au générique de fin. L’on aime alors s’y plonger ou bien l’on s’y refuse. Mais l’on ne peut passer à côté de la réalisation prenant racine dans l’esthétisme authentique de la photographie. Ses mises en scènes minimalistes et ses univers épurés captent à eux seuls le regard, comme une invite à suivre le chemin offert par le réalisateur. D’un pacte tacite, son maniement du beau semble être sa plus grande arme pour ne laisser le spectateur à la dérive de son imaginaire.
Car François Ozon sait où il nous emmène, son parti pris est assumé et son propos s’insère dans une mise en scène quasi théâtrale où les scènes deviennent des actes et les images des tableaux. Le fait qu’il guide ses comédiens via l’œil de sa caméra, comme avait pu nous le confier Pierre Niney lors de l’avant-première parisienne, n’y est sans doute pas pour rien dans cet effet de style auquel il nous avait déjà familiarisés. L’on se souvient de la mise en abyme du regard particulièrement illustrée dans « Jeune et Jolie » du petit frère regardant sa sœur au travers de jumelles. Cette fois, ce sont les jeux de miroir qui font le lit de la direction des personnages, dont les prémices étaient déjà posés dans « Une nouvelle amie ». Ceux-ci se révèlent alors successivement, avec complicité, identification ou désaveu, mais jamais sans l’autre. Ce qui est sûr, c’est qu’aussi hétéroclites soient-ils dans les thèmes traités, les films d’Ozon suivent une constance, celle de l’altérité révélant ou transcendant les destins personnels des acteurs. Et ce dernier film, qui semble en réunir tous les codes, pourrait être celui qui fait tenir ensemble la série cinématographique ; il en porte indiscutablement la marque.
Mais Frantz, c’est aussi l’histoire d’Anna et d’Adrien pris dans la tourmente du retour « à la vie normale » après le chaos de la première guerre. Elle, entame le deuil de Frantz, son fiancé mort au combat. Lui, se mettra sur son chemin pour faire siennes les traces de son alter-ego allemand. Précédemment mis en scène dans « Broken Lullaby » par Ernst Lubitsch, F. Ozon s’inspire du scénario pour mieux s’en séparer, car sa focale sera celle des contrées allemandes au lendemain de la guerre.
(Permettez le salut impromptu de Jonathan Litell qui en avait fait de même dans Les Bienveillantes, et de quelques autres – trop rares à notre goût).
A l’écran, Adrien, Anna et Frantz deviennent ainsi très vite les narrateurs de leur histoire, mais aussi de la grande Histoire : celle de familles blessées ou endeuillées, celle de deux nations meurtries. C’est également celle de la culpabilité de pères ayant porté haut les couleurs de leur pays en encourageant leurs fils « à faire honneur », pour après, quels retours possibles ? Car si le trauma de la guerre se fait particulièrement bruyant pour chacun, il est aussi silencieux, solitaire et réservé, puisqu’il arrive un temps où l’horreur ne peut plus se dire et ne doit plus s’entendre pour qu’un semblant de vie reprenne forme à nouveau. Et depuis son fondement, la demande faite aux soldats se perpétue sous la forme du sacrifice de « se battre pour les autres ». Etant attendu que cela ne se limite finalement pas au terrain de guerre.
Et c’est là le pivot du film. « N’ayez pas peur de nous rendre heureux », quelle qu’en soit la
forme, quels qu’en soient les moyens, plonge les personnages au cœur d’une division de leur existence où le songe et la réalité se perdent dans un entrelacs inconscient. A la couleur qui succède au noir et blanc, se distille le beau venant recouvrir le sombre, ce que l’on ne devrait pas voir, ou ne pas savoir, pour pouvoir continuer à faire « comme si ». Pour autant, est-il question du mensonge à proprement parler ? Rien n’en est moins sûr. Et c’est là-dessus que semblent achopper nombre de critiques.
Il est un fait cependant que des longueurs n’épargnent pas la trame du film. L’on aurait alors envie que le réalisateur nous en dise plus à ce sujet. Laissons lui son interprétation. Quoi qu’il en soit, les acteurs participent également beaucoup à la réussite de ce film. Paula Beer en Anna crève l’écran, bien que beaucoup refusent de lui céder l’icône de Romy Schneider. Quant à Pierre Niney, il nous ferait presque oublier Saint-Laurent dans son rôle – ce qui n’est pas peu dire.
Alors, dans cette nouvelle ode à la femme portée par sa beauté, le lyrisme épuré d’Ozon lui est fidèle et l’illusion intacte. Et paradoxalement, notre gêne ressentie pourrait se situer là où dans cette quête fictionnelle animant chacun des personnages, le beau du rendu triomphe toujours. En effet, ne serions-nous pas nous mêmes – à contrecœur – un peu trop éblouis, illusionnés par un travail trop parfait qui aurait pour finalité de nous rendre trop heureux, justement ?
Célia Breton
N’oublions pas de mentionner que François Ozon est à l’honneur au cinéma Les Fauvettes, Paris, du 31/8 au 27/9
Je n’ai pas tout compris… (« beaucoup refusent de lui céder l’icône de Romy Schneider », kesaco ?) (Que vient faire Littell et son brouet douteux là-dedans ?)
Je crains que vous vous débarrassiez vite de Lubitsch parce que vous n’avez pas vu son film. D’ailleurs, en général, on ne dit pas « Broken Lullaby », mais « L’homme que j’ai tué »… Sinon, enfin je l’espère, vous n’oseriez pas écrire une ligne sur ce film chichiteux d’Ozon…
Rien qu’en évoquant son titre, « L’Homme que j’ai tué » me file le frisson. C’est ça le but du cinéma… Mais, bon, je n’ai pas vos références… icôniques..
Je n’en dirai pas plus…
Merci, Célia, pour ce bel article. Je partage votre point de vue sur ce film d’une grande originalité et d’une beauté à couper le souffle. Cela fait du bien par les temps qui courent. J’ai vraiment adoré.
Il est, en effet, préférable de citer le titre du film de Lubitsch dans sa version originale afin de ne pas trop en dire, celui de Rostand étant beaucoup trop explicite – et moins poétique-.
Bien à vous,
Isabelle Fauvel
L’homme que j’ai tué, c’était le titre de la pièce de Maurice Rostand… Il l’avait choisi pour que cela soit explicite… parce que c’était un grand pacifiste… C’est aussi, l’époque d’À l’Ouest, rien de nouveau, etc…
Mais si vous préférez jouer les Trissotins anglomaniaques , libre à vous… Et la poésie, n’a rien à faire là-dedans !
Si vous voyez le film de Lubitsch, vous verrez qu’il n’y pas photo avec celui d’Ozon… D’ailleurs, la photo d’Ozon est de Pascal Marti, qui contribue sans doute au charme que vous trouvez à ce film plus que son réalisateur devenu bien académique depuis ses premiers pas sulfureux.
Et pardonnez-moi d’y revenir, celle de L’Homme que j’ai tué était du grand Victor Milner, qui éclaira tous les grands films de Lubitsch, ceux de Cecil B De Mille et même cerise sur le gâteau, celle de La Vie est belle de Frank Capra…
J’ai le tort de préférer me pâmer sur une photo d’un artiste d’il y a 80 ans plutôt que d’aimer subir celle d’un faiseur de 2016 et son idéologie de carte postale noir et blanc…
Cet article est-il une parodie?
Un film tout en délicatesse sur le fond et sur la forme. Merci de nous l’avoir signalé. Le clin d’œil au remarquable ouvrage de Jonathan Litell (Les Bienveillantes) n’était pas évident…