Au creux des Vosges, à 870 m d’altitude, le village de Bussang vit la majeure partie de l’année au rythme tranquille de la nature. Quand vient l’été, il connaît soudain une effervescence insolite. Ici personne ne s’étonnera de voir des individus se promener un coussin sous le bras, en plein milieu de l’après-midi. Il suffit d’ailleurs de les suivre pour connaitre la raison de la fièvre estivale qui agite Bussang. Ils nous mènent à une grande bâtisse toute simple, construite avec les sapins environnants : le « Théâtre du Peuple », comme l’indiquent les grandes lettres qui se dressent sur son fronton.
Le théâtre du peuple, un lieu mythique bien connu des habitants de la région, a été créé en 1895 par Maurice Pottecher. C’est dans le champ du théâtre actuel mais en plein-air, que ce fils d’industriels de Bussang donnait, il y a 121 ans, sa première représentation. Jeune poète, devenu auteur dramatique, il était parti faire ses études à Paris où il avait côtoyé, entre autres, Daudet, Paul Claudel et Jules Renard. Tournant le dos au parisianisme, il était revenu à Bussang bien décidé à fonder un théâtre pour tous qui draine un public au-delà des élites.
«Par l’art pour l’humanité », la devise inscrite autour de la scène résume la démarche pionnière du poète humaniste. Pour intéresser un public élargi, il décida de construire un théâtre dans un cadre rural et de donner la possibilité à chacun de participer au spectacle. Ainsi, depuis l’origine, suivant la volonté de Pottecher, comédiens amateurs et professionnels se mélangent sur la scène de Bussang. Autant dire que cela créé un magnétisme insolite et qu’il est souvent impossible de distinguer professionnels et amateurs tant l’exigence est grande.
A troupe éclectique, public au diapason. Pour réunir le plus de spectateurs possibles, régionaux et parisiens, l’heure de la représentation avait autrefois été fixée à 15 heures. Cela permettait à ceux qui arrivaient par le train de Paris à 14 h 30 d’y assister. Le train repartant à 18 h 30, les pièces duraient trois heures pour occuper le public jusqu’au retour. Aujourd’hui, le train ne dessert plus Bussang mais la tradition perdure avec des aménagements. Si la pièce principale est toujours donnée à 15 heures, elle est suivie d’une seconde plus brève à 20 h 30 et suivant les jours on peut également assister à des spectacles courts à 18 h 30. Les espaces bordant le théâtre sont aménagés pour se restaurer et se détendre entretemps.
Ce jeudi d’août, un joyeux brouhaha parvient des tables et des transats installés dans la verdure autour du théâtre. Les spectateurs s’y mélangent en toute convivialité pour pique-niquer ou savourer tartes aux myrtilles et boissons achetés au bar. Quelques minutes avant le spectacle, la foule, coussin sous le bras, rejoint docilement les portes de la grande bâtisse. Avec son plafond incurvé en forme de coque de bateau et ses rangées de bancs sommaires, le théâtre, classé monument historique depuis 1976, donne davantage l’impression de pénétrer dans une cathédrale en bois que dans un lieu culturel. Les habitués, nombreux, n’y prêtent plus attention en déposant leur coussin sur les bancs dont ils savent l’inconfort. Le postérieur quelque peu soulagé, ils se serrent au coude à coude dans une atmosphère bon enfant car les 850 places sont prises d’assaut.
A 15 heures, le rideau se lève sur Le songe d’une nuit d’été. A Bussang aussi, Shakespeare est à l’honneur cette année pour le 400e anniversaire de sa mort. Un choix de texte judicieux compte-tenu d’une autre spécificité du Théâtre du peuple. Au moins une fois par spectacle, le fond de la scène s’ouvre sur la forêt vosgienne qui est alors intégrée au décor de la pièce.
Autant dire que chacun attend avec impatience ce moment clé du spectacle, salué par des murmures admiratifs. Pour tenir le public en haleine et faire durer le suspense, ce moment rituel survient de préférence après l’entracte. S’il pleut à verse, les acteurs mouillés en sont pour leurs frais. Si le soleil inonde la forêt quand la scène est censée se passer de nuit, l’effet peut dérouter… Les spectateurs n’en ont cure, rien ne saurait altérer la magie de cet instant qui salue la communion entre la nature et le théâtre. Communion on ne peut plus à propos dans la pièce de Shakespeare où amoureux transis, roi des elfes, reines des fées, et troupe de comédiens amateurs se rencontrent dans une forêt étrange empreinte de magie. On n’en goûte qu’avec plus de bonheur la mise en scène subtile et féérique de Guy Pierre Couleau, directeur de la Comédie de l’Est.
La saison des Estivales de Bussang vient de s’achever. Pour célébrer à nouveau le rite vosgien plus que centenaire, il faudra attendre l’été prochain… Ce qui laisse largement le temps de programmer un séjour dans les Vosges.
Lottie Brickert
Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher – 40 rue du Théâtre – 88540 Bussang (Vosges).
Tél : +33 (0)3 29 61 62 47
Vosgien d’origine, résidant à Metz, je suis allé voir cette année « Songes d’une nuit d’été »
Époustouflant!
Pièce d’un étonnant modernisme mise en scène de façon remarquable, actrices et acteurs merveilleux , texte délirant de Shakespeare etc,etc…
tout cela dans un décors et un cadre superbement décrits par Lottie Brickert.
Bravo à elle!