Sobre révérence que celle de Frédéric Taddeï tirée au mois de juin dernier pour l’ultime de sa fameuse émission « Ce soir » (ou Jamais !). Regrettable actualité du PAF qui ne lui offrira pas la possibilité de soumettre la question : « Le débat d’idées : un enjeu encore contemporain ? ». Et amers que nous sommes de voir ainsi disparaître une des dernières émissions qui nous autorisait à nous faire happer par ce pavé noir si cher à l’homme moderne.
Après un parcours jalonné de multiples plateaux, de Paris Dernière (Paris Première) à D’Art d’Art (France 2), c’est en 2006 que Frédéric Taddeï se fait le porte-voix du « talkshow » novateur de Rachel Kahn. Le concept n’est pas nouveau mais celui-là fait mouche et a le mérite de faire revivre l’émulation qu’ont pu connaître les générations précédentes avec des émissions phares telles que « A armes égales », « Droit de réponse », ou encore « Apostrophes ». La leçon aurait dû être retenue cependant – du moins par nous ( !) : l’épuisement programmé se met en route dès lors que le premier lancement est en marche. Quoi qu’il en soit, réjouissons-nous que le pari ait été gagné un temps : faire vivre l’actualité « sous le prisme de la culture » a suffisamment convaincu la production des chaînes publiques pour oser en faire un enjeu quotidien. Il était encore possible d’y croire alors !
Mais, très vite les illusions sont tombées jusqu’à maintenir une trop modeste résistance pour perdurer jusqu’en 2016 sur un rythme hebdomadaire. Ceux qui auront eu la chance d’assister à ses émissions se souviendront du professionnalisme de Frédéric Taddeï – ainsi que celui de son équipe – teinté d’une grande générosité ; les autres en auront saisi des bribes à la volée lors de ses directs. Plus qu’un présentateur, l’idée était avant tout de se faire passeur d’une parole toujours prompte à circuler. S’effacer pour mieux laisser place aux échanges avait l’avantage de redonner une inflexion au débat et d’accéder à un focus sur les différentes prises de position. Certaines ont « fait le buzz », selon l’expression consacrée, on peut penser aux rencontres entre Dumas et Lévy, Ramadan et Finkielkraut, etc. mais ce serait perdre de vue l’ouverture des nombreux questionnements offerts à une conclusion personnelle.
L’émission a donc pu faire parler d’elle, mais pas toujours en bien. On ne peut que déplorer le fait que la liberté de parole y ait d’abord été contestée avant d’être engagée. Sensibiliser à ce qui devait pouvoir s’entendre est finalement devenu une gageure jusqu’à se heurter à la limite de ce qui façonne le politiquement correct. Et pourtant, ne serait-ce pas là finalement le signe d’un acte réussi là où une réflexion secondaire a pu prendre place en différents lieux ?
Alors, « Est-ce que ça va mieux ? » comme le titrait la dernière émission ? Il est certain que dans notre monde désorienté d’aujourd’hui ce n’est pas le cas. A 5,3% de part d’audience, il n’était plus possible de maintenir en vie « Ce soir ou jamais ». Le coût de l’émission par rapport aux rentrées publicitaires était sans doute en cause. Mais France Deux n’est pas D8: on attend mieux du service public.
Toutefois, croire à nouveau que l’actualité et la culture ont une place à certains endroits – comme celui qui est le notre – perpétue un optimisme qui ne peut se permettre de décroître. L’éthique responsable de chacun en fonde le principe. Aussi, croisons les doigts pour que l’actualité médiatique, culturelle et politique de la rentrée y soit tout autant fructueuse !
Célia Breton
¤¤¤ Certaines rentrées sont enchanteresses… Septembre 2016 ne restera pas parmi les meilleures millésimes, à de nombreux points de vue. Merci Célia, votre évocation participe des remerciements et meilleurs vœux que nous adressons secrètement et sincèrement à Frédéric Taddéï, Rachel Khan et toute l’équipe de « Ce soir (ou jamais !) ». À leurs côtés, nous sommes les tristes orphelins d’un bel espace de débats riches, originaux et utiles, généralement approfondis, et toujours de haute tenue. Puisse l’audiovisuel public nous gratifier encore de tels espaces (ou jamais !?)…
Mieux vaut tard que… jamais merci Mme Breton. S.