Depuis des années j’accomplis mon pèlerinage lyrique estival annuel en me rendant au Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence puis aux Chorégies d’Orange (ci-contre), ou vice versa, selon la programmation. Sans oublier plus occasionnellement, le festival de musique classique de la Roque d’Anthéron (environs d’Aix) et celui de l’Orangerie de Sceaux.
A début du mois de juillet j’ai commencé par Aix-en-Provence, où j’ai pu voir dans la cour de l’Archevêché les deux productions phares confiées à des metteurs en scène concentrant les feux médiatiques. Le règne des metteurs en scène à l’opéra, comme on le sait, ne date pas d’hier mais d’une bonne trentaine d’années, et je dois dire que leur obsession consistant à transposer l’action dans un contexte moderne ou contemporain ne m’a jamais semblé convaincante. Ce qui ne veut pas dire que je plaide en faveur des mises en scène « plan plan », mais la musique et le chant me paraissant par essence intemporels, je ne vois pas pourquoi ces messieurs-dames assument que le public n’y comprendra rien si on ne lui met pas le nez dans un monde familier.
Les grands créateurs comme Patrice Chéreau, Peter Brook, Bob Wilson ou Peter Sellars ont su, eux, transcender la mise en scène par leur créativité, et les deux opéras phares du festival d’Aix cette année me semblent être l’illustration de cette double approche.
Pour renouveler une œuvre aussi connue que « Così fan tutte » de Mozart, on a cru bon de faire appel au cinéaste Christophe Honoré, qui a cru bon de transposer l’action en Erythrée alors conquise par Mussolini dans les années 1930. Histoire de politiser l’œuvre et de dénoncer fascisme et colonialisme, mais voilà, cela n’a plus rien à voir avec l’exquise, cruelle, et intemporelle fable de Mozart sur la versatilité féminine. Des soldats mussoliniens brutalisant ou violant des indigènes dans la moiteur et la pénombre d’une garnison africaine forment un cadre bien peu propice aux jeux de l’amour et du hasard de quatre jeunes amoureux pleins d’illusion… et malgré les sublimes airs de Mozart, la fable s’étire laborieusement.
Par contre, je me suis délectée de l’oratorio de Haendel « Il Trionfo del Tempo e del Disinganno » (Le Triomphe du Temps et de la Désillusion) conté par le polonais Warlikowski dont j’aime, je l’avoue, l’univers provocateur et iconoclaste.
Bien sûr la merveilleuse soprano française Sabine Devieilhe, absolument unique, m’enchante toujours, mais le dispositif scénique et les partis pris du révolutionnaire Polonais m’ont conquise une fois de plus. Bien loin de « moderniser » l’œuvre au sens littéral, il nous plonge dans son univers mental, nous surprend, nous amuse, nous provoque. Et sert magnifiquement les chanteurs-acteurs.
Il fallait voir la réaction du public (chic public aixois et international) lorsqu’en fin de première partie, on a projeté en noir et blanc, sur toute la largeur de la scène, un fragment d’un film expérimental datant de 1983, un entretien entre Jacques Derrida et Pascale Ogier (la merveilleuse fille de Bulle Ogier si tôt disparue) lui demandant s’il croyait aux fantômes…
Pas question de s’attendre à ce genre d’expérience aux Chorégies d’Orange, où l’immense scène de cent trois mètres de long adossée au mur de trente-sept mètres de haut du théâtre antique romain (« le plus beau d’Europe ») résiste à toutes les tentatives tant soit peu innovantes.
On vient aux Chorégies pour entendre les chanteurs sous le ciel étoilé veillant sur les huit mille cinq cent spectateurs assis sur les gradins, les douces nuits provençales étant parfois rafraîchies par un temps changeant agrémenté de mistral, comme ce fut le cas cette année. Le 11 juillet, lors d’une rare soirée jazz, il ne fallait pas manquer la « Rapsody in Blue » de Gershwin sous les doigts de notre cher Nicolas Angelich venu tout exprès de Paris.
Puis la merveilleuse chanteuse-actrice albanaise Ermolina Jaho ( voir « Plus qu’un récital aux Champs-Elysées ») nous a déchiré le cœur en « Madama Butterfly » (9 et 13 juillet). Je la vois encore, frêle silhouette de mousseline rose se détachant sur le mur immense, parcourant à petits pas frénétiques la scène gigantesque à l’idée que son séducteur de Pinkerton pourrait revenir un beau jour « sur la mer calmée » (« Un bel di, vedremo »…)….
Mais rien à attendre de révolutionnaire sur le plan scénique de cette « Madama Butterfly » de Puccini (une première à Orange) signée Nadine Duffaut, épouse de Raymond Duffaut qui a présidé à la direction du festival pendant trente-cinq ans, et qui a donné sa démission en mars dernier, deux ans avant la fin de son mandat. Il faut savoir qu’une guerre de succession s’est déroulée « backstage » ce printemps à Orange, opposant des responsables municipaux sur le choix du successeur de Duffaut, le directeur de l’Opéra de Monte-Carlo et metteur en scène Jean-Louis Grinda. Le Ministère de la culture a dû menacer de retirer sa subvention…
Lorsque je me rends aux Chorégies, je descends depuis des années dans un hôtel à quelques kilomètres d’Orange, le genre d’adresse qu’on ne souhaite pas ébruiter mais garder égoïstement pour soi. Mais les hôteliers sont si charmants qu’ils méritent d’être connus des lecteurs des « Soirées de Paris », car Sylvie et Alain Davi (formés à « La Mirande » d’Avignon) accueillent leurs hôtes fidèles au « Mas des Aigras » comme des amis, dans un beau mas provençal du début du XXème siècle : la cuisine bio est délicieuse, le jardin ombragé par de grands muriers (non producteurs de soie) sous lesquels on petit-déjeune, déjeune et dîne, et de la piscine située en pleine nature on aperçoit le ravissant (faux) « pigeonnier » coiffant le mas.
Il est possible que je remette le cap vers le sud direction les Chorégies début août pour une « Traviata » honorée par la présence du légendaire et « larger than life » Placido Domingo (rôle de Germont père), et que je pousse jusqu’aux environs d’Aix pour participer au fameux « Festival international de Piano de La Roque d’Anthéron », trente-sixième du nom, qui déroulera ses fastes classiques, français et internationaux, du 22 juillet au 18 août dans l’auguste parc du château de Florans.
Beaucoup plus près de Paris, un autre festival de grande renommée, «le Festival de l’Orangerie de Sceaux », quarante-septième du nom, ravira les fidèles du 13 août au 18 septembre. On y retrouvera, entre autres stars françaises du clavier, Nicolas Angelich le 27 août, et des quatuors comme les Cambini ou les Hermès.
Enfin, dans l’immédiat, je ne manquerai pas de me rendre à l’Hôtel de Soubise, dans le Marais, pour assister aux dernières soirées du festival « Jeunes Talents» où l’on fait chaque année de bien belles découvertes (notamment le 20 juillet pour entendre la dernière création du jeune compositeur français Jules Matton).
Lise Bloch-Morhange
**Voir et revoir sur Arte Concert le « Così fan tutte » d’Aix.
**Voir et revoir sur Culturebox « El Trionfo del Tempo et del Desinganno » d’Aix et « Madama Butterfly » des Chorégies d’Orange.
**Mas des Aigras
**Chorégies d’Orange, « La Traviata », 3 et 6 août, concert lyrique de Sonya Yoncheva le 5 août
**Festival de La Roque d’Anthéron, 22 juillet-18 août, info@festival-piano.com
**Festival de l’Orangerie de Sceaux, du 13 août au 18 septembre
**Festival Jeunes Talents, dans le Marais, jusqu’au 23 juillet