Nicolas Bouvier nous l’avait appris. C’est quand on se perd que le vrai voyage commence. Vous vous perdrez sans doute un bon moment dans les entrelacs du deuxième plus grand port d’Europe (160 kilomètres de quais) avant de parvenir au terminal de votre expédition. Vous aurez au préalable pris soin de surveiller la météo : un temps local – ciel bas, grisaille laiteuse – est conseillé. Empilements de conteneurs à perte de vue, grues titanesques : vous êtes sur la bonne voie.
Et puis le panneau apparait. DOEL (prononcez Doul). Nous sommes en Belgique flamande, mais on se croirait déjà aux Pays Bas, dont la frontière est à moins de dix kilomètres. Un ancien moulin à vent transformé en brasserie nargue un réacteur nucléaire (photo ci-dessus), et une épaisse fumée blanche se perd au milieu des cumulus. Apparemment, rien de particulier à l’approche de cette petite ville sur les bords de l’Escaut, à vingt kilomètres de la ville d’Anvers, avec ses maisons de briques rouges et ses sages rues parallèles. Enfoncez vous dans les rues… Les maisons sont comme figées sur place, fenêtres barricadées et portes bloquées. Un sorte de Pompéi nordique. Derrière un grillage improbable, la pompe à essence de la station-service rouille tranquillement. Les quelques commerces ont gardé leurs enseignes, mais nul produit à vendre et nul chaland. Certaines maisons, plus cossues que d’autres, ne sont pas mieux loties. La maison du bourgmestre se dresse encore fièrement, mais elle est vidée de ses occupants. Autour de l’église, le cimetière semble la partie la plus….vivante du village.
Une nouvelle animation est pourtant apparue, qui a laissé en plein jour le traces ostensibles de son existence. Avec ou sans la complicité des autorités, mais avec un sens de l’opportunité qui leur est propre, les graffeurs et autres artistes du street art, ont transformé le village fantôme en une galerie à ciel ouvert. Toutes les surfaces disponibles ne sont pas encore recouvertes, mais le nombre d’interventions picturales et murales explique que Doel soit pratiquement devenue une destination touristique, faisant le bonheur des photographes ou des smartphonistes. On pourra découvrir toutes sortes de graffiti plus ou moins élaborés, certains de grandes dimensions, comme cette sorte de bestiaire, où gorille, rats ou bœufs occupent parfois plusieurs façades de maisons.
Ce sont les projets d’agrandissement du port d’Anvers (avec les inévitables protestations, contestations, procédures d’expropriation…) qui, depuis 1999, ont condamné ce bourg de 1000 habitants dont la disparition totale est prévu pour 2022. La grande majorité des habitants ont donc quitté le lieu ; seuls, une vingtaine d’irréductibles vivent encore sur place, dont un vieille dame de 92 ans. Un café-bar est encore en activité et accueille notamment les employés de la centrale nucléaire toute proche. Le week end, le village reprend vie et retrouve l’ambiance d’un site touristique protégé. On y organise même des rallyes…
La Belgique était déjà connue pour être la capitale de la bande dessinée. Avec les installations non programmées de Doel, le pays sera-t-il pionnier dans l’art urbain ? Bruxelles, à une cinquantaine de kilomètres d’Anvers, vient d’inaugurer, dans les locaux d’une ancienne brasserie, un espace consacré au street art, unique en Europe : le MIMA, Millenium Iconoclast Museum of Art (1). Cinq artistes d’Amérique du Nord y sont réunis pour la toute première exposition, « City Lights » présentée jusqu’au 28 août.
Gérard Goutierre
(1) MIMA, 39 quai du Hainaut, 10810 Bruxelles. Du mercredi au dimanche +32/472.61.03.51
Merci! S.
Philip Roth appelle les « tags » des « hiéroglyphes imbéciles »…. On comprend pourquoi en voyant cette cité gribouillée…
Pourquoi toujours les mêmes choses partout ? On laisse pourrir un habitat… et on le livre après aux « artistes »…. Disons plutôt au lumpen-prolétariat artistisque… pendant qu’en haut, règnent les « installations »…
Bien entendu, ce lumpen vient des Etats-Unis… Mieux vaut que l’élite des ghettos gribouille plutôt qu’elle constitue la base d’une avant-garde contre la néo-ségrégation qui s’est développé derrière le leurre d’un « noir président »…
Après leur passage, plus question de réhabiliter le village, plus question de projet utopique pour y loger les milliers de sans-abris générés par notre « civilisation »…
Le pseudo-art une fois considéré pour ce qu’il est par un prochain pouvoir « réactionnaire »… On pourra procéder au rasage de la zone et mettre un incinérateur ou y déposer des déchets nucléaires… ça tombe bien la centrale est déjà là…