Une douille d’obus en guise d’encrier à l’Historial de Péronne

Dessin d'Ernst Jünger. Photo: PHB/LSDPSes souvenirs de la guerre 14-18 ont été encensés par André Gide. Le frontispice du « carnet de notes n°5 » de Ernst Jünger est notamment orné (ci-contre) d’une tête de mort assez évocatrice de ce que pouvait inspirer la boucherie à l’œuvre sur le théâtre des opérations. Là est l’intérêt de l’exposition sur les « Ecrivains en guerre » qui vient de débuter à l’Historial Péronne (Somme). Car elle ne se limite pas aux auteurs français comme Mac Orlan, Cendrars ou Apollinaire. Elle est certes sélective, car ils étaient bien trop nombreux à être partis, mais elle est surtout internationale.

La scénographie nous présente le casque percé d’Ernst Jünger et celui d’une de ses victimes britanniques. Cela pourrait être l’inverse. Les casques sont différents, l’un est plus haut, l’autre moins. Mais sous les deux couvre-chefs au design différent, la mort ne faisait pas le tri des nationalités. L’hécatombe était valable pour tout le monde (mis à part ceux qui dirigeaient les opération sur les tables d’état-major bien sûr), écrivains compris, mobilisés ou volontaires.

A la guerre, il y a si l’on peut dire les temps morts, durant lesquels les écrivains font ce qu’ils savent faire de mieux. Il est bien dommage que cette exposition temporaire soit si chichement éclairée pour découvrir plus facilement les réflexions et sentiments qui pouvaient agiter la plume de ces professionnels de la transcription. Ce n’est sans doute pas un calcul des organisateurs mais le visiteur sera bien inspiré d’acheter le catalogue de l’exposition où l’ombre ne censure plus une matière aussi intéressante et, à bien des égards, émouvante.

Représentation des "Alliés". Gravure sur bois signée par Raoul Dufy. Photo: PHB/LSDP

Représentation des « Alliés ». Gravure sur bois signée Raoul Dufy. Photo: PHB/LSDP

Co-édité par Gallimard, il permet de revoir l’expo les deux pieds croisés sur une table basse sans compter une bonne lumière c’est à dire avec tout le confort requis. Et puis un catalogue c’est aussi un livre et comme celui-là parle d’écrivains, le terrain est d’autant plus propice à la découverte ou à l’approfondissement.

On y apprend que les femmes aussi ont écrit sur cet épouvantable conflit. Il en est ainsi de May Sinclair (1863-1946) qui nous est présentée comme une « suffragette, romancière et poète« , âgée de 51 ans ans au début de la guerre. Elle s’y rend afin d’aider les infirmières au plus près du front. Elle évoque nous dit-on, une excitation « extatique » au fur et à mesure qu’elle se rapproche de la zone de combat. Elle en ramène un poème, « Field ambulance in retreat », qui raconte à propos des véhicules sanitaires : « Et là où passaient les charrettes à blé pleines à ras-bord, notre ambulance ruisselante emportait/Sa moisson rouge et blanche ramassée dans les champs ».

Les victimes de cette guerre ont été classées selon le type d’adversité. Les écrivains n’ont pas échappé à cette nomenclature funèbre qui distinguaient les « tombés au champ d’honneur », les « morts sous les drapeaux », les « considérés comme disparus ». Dans le numéro 25 du bulletin des écrivains, paru en novembre 1916, on trouve pêle-mêle des noms comme Charles Péguy, Louis Cadot, Alain-Fournier ou encore Louis Pergaud. Une « perte » est toujours absolue. Celle d’un artiste ou écrivain comporte en outre un manque à gagner créatif. C’est ainsi qu’au passage de la grande faux, devenue industrielle, on a perdu un poète qui s’appelait « Quinze grammes ». Pire encore on l’a oublié avant que Les Soirées de Paris (1) ne l’exhument. En l’occurrence le sous-titre un peu obscur de cette manifestation « Nous sommes des machines à oublier » (de « pures » machines si l’on s’en tient à la traduction d’un texte de Jünger), nous livre ici une part de sa justification.

PHB

(1) A propos de « Quinze grammes », article de Gérard Gouttière paru en 2013

Jusqu’au 16 novembre à l’Historial de la Grande Guerre à Péronne (Somme)

"Nous sommes des machines à oublier". Entrée de l'exposition sur "Les écrivains en guerre". Photo: PHB/LSDP

Entrée de l’exposition sur « Les écrivains en guerre ». Photo: PHB/LSDP

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