Pour rester « jeune et jolie bien au-delà des limites normales », il fallait contacter « de suite » les laboratoires Cosmea. Faute de quoi, la femme « insouciante » pouvait courir le risque fou de se retrouver « laide et ridée ». Seulement voilà : les crèmes Cosmea n’étaient en vente « nulle part » et c’était même leur argument de vente principal. Pour éviter ce genre d’erreur grossière, un certain Louis Angé avait rédigé puis publié en 1930, le « Manuel de la publicité ».
Il y a près de 90 ans, il y avait certes de belles publicités, dessinées, peintes ou basées sur une photo, afin de vanter telle marque automobile ou tel parfum. Mais on trouvait aussi des choses manifestement improvisées par un directeur commercial en blouse grise avec lunettes rondes, moustaches et raie au milieu, qui pouvait trouver pertinent de recommander dans une revue sérieuse qu’il fallait se faire régulièrement « ramoner les intestins ».
Le style d’écriture de ce petit livre rare cédé trois euros par un brocanteur s’apparentait davantage au « Discours de la méthode ». Quand de nos jours le jargon des publicitaires malmène affreusement la langue française en l’obligeant à côtoyer des vocables anglophones destinés à impressionner le pigeon, le « Manuel de publicité » ne faisait quant à lui aucune concession linguistique, aucune incartade syntaxique. En la matière, la France était en 1930 un peu en retard sur les Allemands, les Américains et les Britanniques. Mais ce n’était pas semble-t-il une raison, en parcourant l’ouvrage, de faire des effets de langage afin de créer un effet de clan.
En découvrant ce manuel, on prend connaissance de quelques éléments historiques. Il y avait par exemple un auteur allemand, du nom de Viktor Mataja, qui avait déjà publié trois éditions de « Die Reklame », un précis qui faisait déjà référence pour les aspects économiques de la publicité. De son côté, outre une vocation pédagogique certaine, Louis Angé semblait faire sienne l’extraordinaire prédiction d’un philosophe (dont il ne livre pas le nom) et qui disait que la vie sociale et économique à venir ne serait plus qu’un « ensemble de publicités qui se croisent ». Au vu de la place qu’a pris la « com » dans nos vies depuis les années soixante, c’était assez bien vu.
En 2016, les différentes conneries que l’on nous infuse le plus souvent à notre insu, sont le résultat de toute une série de réunions préalables ayant mobilisé toutes sortes de compétences et un gros volume d’argent. L’agence de « com » moderne fait d’abord les poches de son client afin que lui-même puisse siphonner dans les grandes largeurs l’argent des consommateurs. Et le pire c’est que tout le monde est d’accord. Ou presque.
En 1930, la pression publicitaire était encore supportable. Il y en avait des moches, des élégantes, des drôles, elles étaient encore bien dissociées du monde réel. Encore que, si l’on veut se bien souvenir des « réclames déguisées » dans la presse qu’évoquait Maupassant dans « Bel ami », il y avait depuis belle lurette des gens assez malins pour entuber gentiment le chaland. Le genre « déguisé » fait aujourd’hui des ravages à l’enseigne du « brand content » (contenu de marque, littéralement).
« Hiver comme été, un fromage toujours bien fait, la Vache qui rit », « Exigez le sous-vêtement Neyret », « Champion la bougie des champions », « Hennessy, le nom qui a fait le renom du cognac »: ces slogans étaient sans malice. Mais nous n’avons pas prêté suffisamment attention à ces pionniers. Ce sont leurs successeurs qui de nos jours gouvernent notre quotidien en sous-main.
PHB
Il est intéressant d’apprendre que l’overdose d’inepties dont la radio et la TV nous inondent est « le résultat de réunions préalables ayant mobilisé toutes sortes de compétences… », il serait curieux de savoir d’où sortent ces « compétences ». Je me demande souvent si ce matraquage publicitaire n’aboutit pas au contraire de l’effet recherché : exaspéré par ce racolage vulgaire, le chaland ne va-t-il pas rejeter les marques qui y recourent en pensant que si elles ont tant besoin de se vanter c’est parce qu’elles ne valent rien?
Article salutaire!
Ceci étant, la publicité génère de la « valeur » et quelle valeur…Dans un récent billet économique sur les marques de sport, Marie Viennot expliquait sur France culture matin qu’un tee-shirt siglé Nike ou Adidas d’un coût de revient de 5 € était revendu 85 €, grâce à la notoriété générée par la publicité!
Et puis il ne faut pas oublier les grands classiques: »Dop, dop, dop, Dop, dop, dop, tout le monde adopte dop, Dop dop dop!!!!!!!!!!!!! » ou encore: « Il se passe toujours quelque chose aux Galeries Lafayette » !!!!!!!!!!!!!!! »
Pour ajouter à la liste : « DD, dépêchez-vous vite d’emporter ! », « Du bo, du bon, Dubonnet ! ».
Certaines publicités auraient gagné à être différées, comme la célèbre « Plus vite le train ! », à la veille de grèves de la SNCF…