Quand on pense à tous ces sous-produits du cinéma français financés par un système des plus généreux, il y a de quoi rester songeur devant les images de ce film mort-né en 1947: « La Fleur de l’âge ». La distribution était royale avec des pointures comme Paul Meurisse, Anouk Aimé, Martine Carol, Arletty, Regianni et quelques autres. Les bobines du projet de Marcel Carné ont de surcroît été perdues. C’est donc là tout l’intérêt de la réapparition des photos de tournage actuellement exposées au sein de ce musée Mendjisky qui planque sa belle architecture dans une petite impasse du quartier Vaugirard.
Les photos sont signées Emile Savitry (1903-1967), artiste réputé discret autant que talentueux, proche des surréalistes, ami de Brassaï, de Prévert et observateur inspiré des belles heures de Montparnasse. Deux étages de la belle maison lui sont consacrés jusqu’au 5 octobre, l’un pour ses œuvres personnelles, l’autre pour le film inachevé de Marcel Carné.
« La Fleur de l’âge » était le titre d’un film basé sur un scénario consistant signé Jacques Prévert. Basé sur un fait réel, il racontait une évasion d’un bagne pour enfants situé à Belle-Île-en-Mer, évasion à la suite de laquelle les autorités avaient organisé une chasse avec prime pour les récupérer. Emile Savitry était un ami de Jacques Prévert, ce qui a dû lui faciliter les choses. Tout semblait réuni pour faire de cette histoire une réussite, dont le décor exceptionnel, une pléiade d’acteurs pleins de sève et la participation comme figurants de vrais enfants détenus. Le tournage faisait même l’objet d’articles dans les journaux qui racontaient notamment que Martine Carol pratiquait le nudisme sur les plages entre deux prises. Sans rentrer dans les détails, l’exposition nous explique que « les difficultés climatiques, les tensions relationnelles et financières » auront eu raison du projet.
Dans une ambiance décrite comme difficile, tendue, Emile Savitry réalise de son côté quelque six cents photos. Celles que l’on peut voir nous invitent étrangement à profiter d’un film qui n’a jamais existé. Ce sont de beaux clichés noir et blanc, adroitement cadrés et qui tirent profit des lumières réputées de Belle-Île. Avec « La Fleur de l’âge » il y avait présomption de chef d’œuvre: nous voilà aujourd’hui confrontés, grâce au travail du photographe et à la dilatation de l’espace-temps, à un beau rendez-vous manqué.
Ce n’est pas le cas de l’autre étage puisque nous avons affaire à un ensemble monographique des plus soignés, que ce soit pour capter Django Reinhardt jeune ou un magnifique voyou de Pigalle avec des rouflaquettes comme on n’en fait plus. Cette partie de l’exposition couvre une époque allant de 1930 à 1960 . Il paraît qu’il s’agit là d’un « réalisme poétique » dont l’expression serait de la même veine qu’un Brassaï, un Willy Ronis ou un Robert Doisneau. Ce n’est pas faux. Emile Savitry joue là encore avec la lumière comme si elle était son assistant-opérateur personnel. On ne pourra que s’attarder et s’émouvoir devant une sensible vue nocturne de la prison de la Santé, admirable de justesse, délicatesse et maîtrise. L’aube, le soir, la nuit, les éclairages artificiels, la faune parisienne artistique ou non, quelques nus élégants, voilà la palette particulière d’Emile Savitry. Le soin apporté à chaque photo, l’inspiration à l’origine de chaque sujet, le cadrage parfait parce que pratiquement invisible au premier coup d’œil, imposent un certain respect.
On peut ajouter une troisième bonne raison de descendre bientôt au métro Vaugirard. Au charme du bâtiment dessiné par Mallet Stevens, s’ajoute celui des collections permanentes comprenant les œuvres très variées en fonction des époques de Mendjisky (né en 1929), mais aussi quelques jolies réalisations de Foujita. Au sous-sol se trouve également un beau piano Erard que les visiteurs « qualifiés » sont invités à utiliser sans plus de façons. Tant de choses à voir sur tant d’étages, cela fait un peu structure de club-sandwich, mais on ne s’y ennuie pas une seconde.
PHB
Emile Savitry, « Un photographe de Montparnasse. 8 juin-5 octobre. Musée Mendjisky Ecoles de Paris. 15 square de Vergennes. Paris 75015.
Si je me souviens bien, le 15 square de Vergennes a été construit par Mallet-Stevens pour son ami le maitre verrier Barillet, je l’avais visité il y a quelques années lorsqu’il venait d’être restauré.
Je vois qu’il s’est transformé en musée Mendjisky.
Barillet a notamment réalisé les vitraux en demi cercle au-dessus de l’entrée de la piscine Molitor qui ont été déposés pendant vingt ans et doivent à l’ex « Etablissement
balnéaire Molitor » d’avoir gardé son inscription monument historique, bien que
transformé en hôtel-spa privés pastiche néo30 par Accor, Bouygues, et Colony Capital.