Lorsque le fleuve américain Colorado débouche dans le golfe de Californie, 2330 kilomètres après son point de départ, il a perdu 96% de son volume. La faute en incombe à tous ceux qui se servent inconsidérément au passage. Cette histoire consternante, emblématique de tout ce qu’il ne faut pas faire, est détaillée dans une exposition organisée au Pavillon de l’eau, avenue de Versailles. C’est aussi le résultat du travail photographique de Franck Vogel qui, des grands fleuves, s’est fait une spécialité.
Ingénieur diplômé de l’Institut national agronomique, Franck Vogel a décidé de lancer le « Fleuves Frontières » autour de sept grands cours d’eau, du Brahmapoutre au Jourdain et bientôt le Mékong, l’Amazone et le Gange. Ses reportages sur le sujet sont publiés dans le magazine Géo et feront l’objet d’un livre qui devrait sortir en septembre aux éditions de la Martinière.
On ne saurait trop blâmer l’orientation militante de cette exposition tant les enjeux qui en ressortent sont évidents. De l’amont à l’aval du grand fleuve, Franck Vogel est allé photographier les points clés de sa démonstration en seulement cinq semaines, après préparation. Une opération de style pour commando pour un résultat qui dérange, surtout vers la fin car au début tout va bien. Les prises de vues sont superbes, le contraire serait difficile, quand il s’agit notamment du Grand Canyon, l’un des fleurons du patrimoine universel, patiemment creusé par le fleuve.
Mais le propos est surtout pédagogique. Tout le monde veut part de flotte, sa dose de water. Il y a eu une loi en 1922 pour partager l’usage de l’eau du colorado entre sept Etats américains. Il y a eu le principe établi à la grande époque de la conquête de l’ouest selon lequel celui qui valorisait en premier les ressources obtenait des droits de propriété afférents que 700 familles descendantes exploiteraient encore avec une attention jalouse.
La liste des paramètres ayant contribué à transformer un fleuve rugissant en ruisseau fantomatique, est longue. Il y a par exemple le barrage Hoover, un géant qui fournit à la Californie plus de 40% de son énergie. Plus gros réservoir d’eau artificielle des Etats Unis, la retenue d’eau créée contribue pour 90% des besoins en eau de Las Vegas, la capitale du tapis vert et des bandits manchots.
La surexploitation agricole, l’élevage, additionnés à des phénomènes plus ou moins naturels, sont venus affaiblir encore un peu plus ce fleuve qui termine sa course exsangue. Et la situation n’est pas près de s’arranger si l’on en croit les relevés mis en avant par l’exposition. Le retenue d’eau du barrage Hoover, autrement dit le lac Mead, a vu son niveau passer de 211 mètres de profondeur en 1998 à 165 mètres aujourd’hui. Les chiffres auxquels le visiteur fait face n’incitent guère au haussement d’épaule. Pas davantage que la mer de Salton, vaste étendue d’eau créée par le fleuve Colorado qui a su se faufiler dans les canaux d’irrigation élaborés par les hommes. Sa densité en sel et en pesticides en fait un espace quasi-invivable puisqu’une seule espèce de poisson y ferait encore de la résistance.
Le propos de l’auteur vise aussi à ce que nous prenions conscience de l’intérêt de nos fleuves et notamment de la Seine que l’on imagine mal réduite un jour à trois mètres de large à son embouchure. Nous en sommes très loin, surtout avec cette météo pot de chambre, mais l’eau, à nous dont les gènes portent encore les traces du temps ou les terres n’étaient pas émergées, nous ne pouvons pas vivre sans. Inquiets que nous sommes de cette matière première dont on fait nos whiskys sacrés, nous allons la chercher à tout hasard sur d’autres planètes alors que nous nous employons à gâcher ou salir celle dont nous disposons ici-bas. Au vu de la panique qui nous saisit lorsque l’essence se fait rare, on imagine sans peine la foire d’empoigne que créerait une pénurie d’eau potable.
PHB
« Le fleuve qui n’atteint plus la mer ». Exposition au Pavillon de l’eau. jusqu’au 30 décembre. 77 avenue de Versailles, Paris. 75016. Métro Mirabeau (là où coule Seine autant qu’il nous en souvienne…)