Au cul la vieille, c’est le printemps ! Ne croyez pas que je m’encanaille avec ce langage peu châtié mais la vieille c’est l’hiver. Et cette année la vioque traîne les pieds pour décamper des espaces verts. Comme à regret… tardif : que n’eût elle été plus rigoureuse durant les mois en “ôse“ et la végétation s’en fût bien mieux portée. Les pépiniéristes se lamentent : parasites et larves d’insectes prédateurs ont grassement bedonné tout l’hiver, et sur les branches les bourgeons tardent à s’effleurir. Il n’y a plus de saisons, ma bonne dame.
Qu’importe, fussent-il pluvieux, les week-ends passés n’en ont pas moins célébré le renouveau printanier au travers des multiples salons, foires et expositions qui lui sont annuellement consacrés. L’amoureux du jardin aime flâner dans ces festivals de couleurs et de senteurs. Il se réjouit de la venue sur le marché d’un nouvel hybride à la flagrance dite géniale et au nom commercialement prometteur. Il s’émerveille de l’ingéniosité des agenceurs d’espaces qui vous font du lieu le plus improbable un véritable enclos de charme. Des grillages écrantés fleuris à bon escient maquillent ce jardin de curé en isoloir propice aux confidences au point qu’un athée viendrait s’y confesser. Même inventivité pour cette mini forêt de ceps de vigne plus ridés qu’une vieille pomme pour tenir lieu de haie jésuitique. Voir sans être vu ou presque, le rêve pour butiner tranquille, qu’on soit abeille ou non.
L’œil surfe aussi sur cette impressionnante vague de campanules, aubriétias et lobelias. Une déferlante d’un incroyable camaïeu dont la nature garde le secret, s’affranchissant des codes couleur sans jamais mauvais goût. Peintres à vos palettes pour immortaliser cette marée, éphémère mais o combien vivante ! A l’opposé, il faut de l’audace pour conceptualiser cet espace minéral dont le seul ordonnancement sur plusieurs niveaux pallie l’absence de couleur. S’en dégage une grande sérénité, même sous un ciel couvert. Voici venu le temps du Feng Shui au dehors.
Le jardinier est architecte, qui sait utiliser la perspective pour corriger l’absence de relief ou tirer profit d’un escarpement. Il est peintre aussi pour farder de rouge une barrière, charbonner une morne palissade, escamoter une verrue de jardin sous une tenue de camouflage. Mais l’espace végétal n’est rien sans le murmure d’une cascade. Et justement voilà qu’elle jaillit de derrière des bambous pour baigner de jade les orteils de papyrus. Tandis qu’un peu plus loin, une mare où oscillent quelques nymphéas vous transporteraient presque à Giverny, hormis la différence d’échelle. N’était-ce la crainte d’y voir s’y rafraîchir -et reproduire le moustique tigre, le paysagiste ne saurait se passer d’aquatique au jardin, premier symbole de la Nature.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Une vieille bassine en zinc ayant perdu jusqu’à son fondement sert de barrière aux rhizomes envahisseurs, de présentoir aux condimentaires. Plus ventrue qu’Obélix, cette énorme barrique cintrée déverse sa collection d’espèces florales, tombantes et remontantes. Les ennemis deviennent des amis. Lierre et mousse, ces étouffoirs de sève et d’oxygène, s’achètent une vertu – qui en habillant un mur, qui en entrelaçant une grille. Ils vous transforment la plus rébarbative porte de prison en aimable lisière du chacun chez soi. Foin des conflits de voisinage !
Dans ces jardins extraordinaires, il n’est pas que les canards anglophones à s’exprimer. A Jardin en Seine (exposition au jeu de mot étudié), je certifie avoir entendu une brebis de l’année s’exprimer (en langage de capriné) pour montrer au chaland la carcasse de fer qui pointait à l’horizon par delà la boucle du fleuve. Le fou chantant n’en serait pas revenu !
On passe volontiers son chemin devant les chaises en faux champignons et autres nains de jardin, espèce en voie de disparition malgré les facéties cinématographiques d’une certaine Amélie. A ces bijouteries de campagne, on préfère l’original et l’insolite quand il s’épanouit dans le mobilier de jardin. On stationne donc devant cet imposant barbecue monumental dont le béton circulaire vous redessine à l’identique la prunelle. Qui ne rêverait pas de déjeuner sur l’herbe autour de pareille forge ? Elle trônait au parc du château de Saint Jean de Beauregard, de quoi ravaler les ambitions champêtres du visiteur lambda. Sauf à pouvoir installer l’engin dans une prairie, une plaine, que dis-je un domaine ! D’amusantes chaises en fer forgé style “bistrot tout en un“, conçues pour siroter son pastis en suisse, côtoient les bancs pour amoureux. Qu’ils soient publics ou privés, les amants de tous temps s’y bécotent. Et pas seulement quand grimpe la sève comme au thermomètre le mercure, forcément galant. La bagatelle s’épanouit au jardin à qui sait conter fleurette, elle a donné son nom à la roseraie du bois de Boulogne.
Fêter les plantes, c’est romantiser les accessoires de jardin, girouettes, pluviomètres et autres gadgets de ferronnerie. Les ceintures métalliques pour contenir les massifs s’ornent de papillons multicolores dont le temps à suspendu l’envol, ou de mésanges charbonnières à jamais aphones. Place au bourdonnement de l’abeille, la vraie, miraculeusement rescapée du Round up. Place au battement d’aile du lépidoptère faiseur de pluie au Sahel. La poésie qui se dégage des chemins tracés ne dit rien du travail fourni en amont, et c’est tant mieux. Pour que la magie s’opère, hors de question qu’affleure l’ombre du soupçon des efforts consentis par la Fée du jardin. Et pourtant, si l’on savait…
Qui a cette année arpenté, les semelles crottées, les allées de ces Salons annuels exprime ici un regret proche de l’indignation : que les “sabots“ de carte bleue n’y aient point eu droit de cité. Le soulier fait pourtant champêtre. «Tout mon argent passe dans mon jardin», confiait le génial Claude Monet. S’il était encore parmi nous, 2016 ne l’eut pas mis sur la paille.
Guillemette de Fos
Ma chère Guillemette, quel bonheur remonte en moi après cette promenade printanière. J’avoue que dans le secret de ma terrasse, la fleur se fait reine aux beaux jours et je dois me gendarmer se je veux circuler. Déjà profitant que l’hiver faisait saison buissonnière, deux beaux bouquets de Polygala Myrtifolia aborde le printemps couverts de fleurs violettes. Non loin, un rince-bouteille est couvert de bouton de ces fleurs qui ressemblent à ce qui servaient d’instruments quand on ne jetait pas les bouteilles autrefois. Ces fleurs vont flamber de rouge très bientôt. Hier j’ai taillé une lavatère qui va fleurir ses cloches roses vers juin, des fleurs qui ressemblent à celles de l’hibiscus qui se relaieront jusqu’aux gelées. Je m’aperçois que mon brave lilas se prépare lui aussi… Une fois ses fleurs passées il va falloir que je le change de pot, parce qu’une terrasse ne s’accommode que de bacs ou jardinières. Il en est un autre, qui risque de crier famine si je ne le change pas . Ou plutôt que je le sépare en deux, c’est le laurier rose. Il m’en reste trois ou quatre à trouver lors de ma visite annuelle. J’aimerai l’ abutilon très florifère, mais rare.. des dalias aussi.
Merci cher Bruno pour ta réponse aussi colorée que parfumée.
Merci aussi d’avoir répondu aux interrogations de Lise durant ma pause de lecture des SDP pour cause de vacances scolaires (de mes petites filles !).
Merci enfin pour tes précieux conseils (dans un article passé) sur la fréquence d’arrosage différentiée des figuiers et des oliviers. Avant d’abreuver mes arbres vendéo-bretons, il n’est pas un jour où je n’applique tes précieuses recommandations !
Tout ceci est très beau, mais je n’ai pas compris où sont ces jardins où vous avez vu ces merveilles?
Que Guillemette me pardonne de répondre, pour dire à notre lectrice, qu’il est fait allusion aux « Rencontres des plantes de printemps » du château de Bauregard, mais c’était la 10 avril dernier. De « Jardins en Seine », vers Suresnes … c’était aussi le 10 avril dernier. Il reste dans les expositions notables pour les parisiens, le salon qui fut longtemps celui de Courson qui a transmis son événement phare « Les Journées des Plantes » fort de 32 ans d’existence, au Domaine de Chantilly qui organise la 64ème édition les 13, 14 et 15 mai 2016. Si une voiture passe par Pantin hum…
Voilà pour les expo temporaires, et puis bien sûr Giverny merveilleux Giverny, mais hélas la foule.. .
Merci cher Bruno,
de vos précisions.
Quant à moi, pour alimenter mon petit jardin parisien à la Dutronc, j’ai dû me contenter d’une virée chez Botanic, à Puteaux je crois, le long de la Seine. J’y ai découvert une variété de jasmin au doux parfum, quelques plantes grasses de petite taille mais proliférantes à la méditerranéenne, et un bel ensemble de bégonias lierre blancs (je n’ai que des plantes blanches), que j’ai ajoutés à mes plantes qui ont fort bien passé l’hiver, vu la douceur.
Et bien sûr je vais sans cesse dans « mon » jardin, le Jardin botanique des Serres d’Auteuil, déjà tout épanoui, que nous les associations avons provisoirement sauvé des griffes de la Fédération Française de Tennis. Ah que c’est bon d’en profiter sans le bruit des marteaux piqueurs…