Mille bonnes cordialités, Paul Guillaume

Portrait de Paul Guillaume par Giorgio de Chirico (détail). Photo: PHB/LSDPLa correspondance du galeriste Paul Guillaume avec Apollinaire frôlait parfois par le ton et par le nombre, une certaine forme de harcèlement du premier vers le second. A une époque où l’on pouvait adresser une lettre à peu près aussi vite qu’aujourd’hui un e.mail, c’est à dire le matin pour l’après-midi, Paul Guillaume ne se gênait pas pour faire pression sur l’écrivain au profit de ses affaires. C’est ce que révèle entre autres, la passionnante correspondance entre les deux hommes, qui vient de sortir chez Gallimard. (Ci-contre: Portrait de Paul Guillaume par Giorgio de Chirico, détail. Photo: PHB/LSDP)

Pour ne pas perdre le lecteur en route puisque l’un s’appelle Guillaume par le prénom et l’autre par le nom de famille, la mécanique retenue tout au long de cet ouvrage est de dire « Guillaume » pour Paul Guillaume et « Apollinaire » pour Guillaume Apollinaire. On s’y fait très vite. Autre détail technique mais pas seulement, les nombreuses annotations, d’une précieuse érudition, apportent un éclairage très utile sur le contexte d’un dialogue commencé en 1911 et conclu par la mort du poète en 1918.

Et c’est d’un éclairage marchand dont nous instruit principalement ce livre pouvant se lire d’un trait. Le jeune Paul Guillaume n’a que 19 ans en 1911 lorsqu’il rencontre l’écrivain. Grâce à Apollinaire, ses conseils et son phénoménal carnet d’adresses, il va devenir l’un des négociants en art les plus en vue. Il a du flair et son expertise va aller s’amplifiant en ce qui concerne l’art moderne et primitif. La collection de Paul Guillaume tient une place centrale dans l’exposition en cours à l’Orangerie. On peut y découvrir comme dans le livre, l’exemplaire numéro deux des « Arts à Paris », une revue qu’il lance après-guerre, inspirée par « Les Soirées de Paris ». Apollinaire aidera au lancement.

Cette correspondance de 120 missives débute en 1913. Le ton de part et d’autre est alors respectueux, courtois autant qu’amical. Quand Apollinaire se retrouve sur le Front, elle ne cesse pas et Paul Guillaume expédie même des cigares à l’écrivain qui en redemande, amenant le galeriste à avouer que les circonstances font qu’il ne peut pas en raison d’un état « d’impécuniosité absolue« . Cependant le conflit va favoriser son ascension, ses principaux concurrents étant devenus indisponibles à des titres divers.

En avril 1917, alors qu’il est de retour à Paris un an après sa blessure, Paul Guillaume sollicite l’auteur « d’Alcools » pour une contribution écrite à un catalogue. Chose assez extraordinaire, il lui demande modifier un point de vue qu’il juge trop négatif, faisant du « brand content » avant l’heure c’est à dire cette communication exclusivement positive très en vogue aujourd’hui. Guillaume Apollinaire s’exécute, précisant même que le mal s’en trouve « réparé« .

Il y a par la suite du tiraillement dans l’air, Paul Guillaume ne jugeant pas nécessaire que son « mentor » signe son texte alors qu’Apollinaire insiste. C’est tout à fait comme dans e.mail moderne avec un contenu désagréable qui se termine néanmoins par un « cordialement« . En l’occurrence Paul Guillaume conclut par un « mille bonnes cordialités« , ce qui revient au même.

Le climat est bien moins bon qu’au début, mais des intérêts complémentaires maintiennent par la force des choses, les échanges de courriers. Néanmoins Apollinaire ne cache plus sa contrariété lorsqu’il écrit « je voudrais (…) qu’une autre fois vous ne me fassiez plus injurier par des gens à vos gages dans la presse » ce à quoi l’autre répond qu’il n’y avait pas « de quoi irriter un homme d’esprit« . Il s’ensuivra en 1918 quelques rendez-vous manqués où des mots comme « voyou » ou « fieffé menteur » altèreront la grâce épistolaire des débuts.

Correspondance Guillaume Apollinaire/Paul Guillaume. Photo: PHB/LSDP

Correspondance Guillaume Apollinaire/Paul Guillaume. Photo: PHB/LSDP

C’est la grippe espagnole qui mettra fin à ces échanges devenus quelque peu venimeux. Dans le numéro trois des « Arts à Paris », paru en décembre 1918, Paul Guillaume soulignera malgré tout dans un long éloge de l’écrivain mort le 9 novembre, son rôle « considérable » dans « le mouvement des arts modernes« .

Certaines de ces lettres sont inédites ajoutant à ce livre une richesse bienvenue. Les illustrations qui accompagnent l’ensemble en font un parfait compagnon d’agrément autant qu’instructif.

PHB

 

 

Guillaume Apollinaire/Paul Guillaume, Correspondance (1913-1918), édition de Peter Read, introduction de Laurence Campa et Peter Read. 192 pages, (54 illustrations), en librairies le 15 avril. 19,50 euros.

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Une réponse à Mille bonnes cordialités, Paul Guillaume

  1. Décidément, notre Apollinaire chéri est le héros de cette rentrée parisienne!
    J’avais remarqué dans LE CANARD ENCHAINE en février dernier la critique de Frédéric Pagès du livre « Les obus jouaient à pigeon vole »(Editions Bruno Doucey) dans lequel Raphaël Jerusalmy raconte l’odyssée d’Apollinaire dans les tranchées en 1916. Le livre défend la thèse que le poète s’est engagé dans la guerre par amour de … la poésie!

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