Grandes dames du chant et grands frissons à l’horizon, sur papier, dans les salles comme à l’écran !
Je me suis enfin plongée dans « Les grandes divas du XXème» de Richard Martet, paru à l’automne dernier chez Buchet Chastel, dans leur célèbre collection musique.
Ce critique renommé a déjà signé «Les grands chanteurs du XXème siècle» dans cette collection, mais seules les dames ont droit au titre de divas, et dans un sens bien précis comme il l’explique : ce sont celles qui ont marqué l’histoire de l’opéra non seulement par leurs qualités vocales mondialement reconnues, mais aussi par leur engagement dramatique, leur beauté et leur personnalité flamboyante.
Car avant la Callas, certaines de ces dames ont su entretenir leur légende de leur vivant de façon remarquable, jusque dans leur vie privée.
Très vite, dès les premières dames de légende, j’ai été frappée par les rivalités qui les opposaient souvent, renvoyant à la fameuse rivalité Callas-Tebaldi que je croyais hors du commun. Je me trompais : j’ai découvert notamment la rivalité farouche entre Maria Jeritza et Lotte Lehmann. L’auteur nous apprend que la Jeritza, éperdument admirée par Strauss et Puccini, fut nommée «la prima donna du siècle» pour sa sûreté vocale et ses aigus, tandis que Richard Strauss aurait déclaré : «Mademoiselle Lehmann nage certes. Mais, même quand elle nage, c’est elle que je préfère aux autres !».
Les années 1950 et 1960 virent s’affronter Lisa Della Casa et Elisabeth Schwarzkopf, toutes deux ravissantes et merveilleuses chanteuses, partageant le même répertoire, les mêmes maisons d’opéra et souvent la même affiche, enregistrant les mêmes rôles pour des labels concurrents, la première chez Decca, l’autre chez EMI (devenu Warner Classics).
Puis on en vient à Maria Callas, « la Divina », « la superdiva », et notamment à sa rivalité légendaire avec Renata Tebaldi. Richard Martet estime que «les débats entre callassiens et tébaldistes ont encore de beaux jours devant eux, mais que leurs voix et leurs tempéraments n’ont absolument rien de commun». Effectivement, pour s’en convaincre, il suffit d’écouter leurs innombrables enregistrements auxquels elles ont dû leur immense popularité, relayés par la radio, surtout pour la Callas, prise en main par le formidable producteur d’EMI Walter Legge, mentor et mari d’Elisabeth Schwarzkopf.
Surtout, l’auteur analyse parfaitement en quoi consiste la «révolution Callas», peu connue du grand public, et qui dépasse largement son statut de diva. Selon la légende très véridique, tout commence vers la fin des années 1930, lorsque la plantureuse jeune chanteuse américano-grecque de quinze ans a la chance immense d’avoir pour professeur, au Conservatoire d’Athènes, une fameuse cantatrice espagnole Elvira de Hidalgo : c’est ainsi qu’elle découvre les secrets perdus du «bel canto» italien. Tout viendra de là. Comment Elvira avait-elle retrouvé les règles du «beau chant», le seul qui rende justice à la vérité de la musique et du personnage ? Mystère…
Après avoir ébloui les salles italiennes avec des rôles de soprano dramatique comme ceux de «Norma», «Turandot», «Aida», soudain, en 1952, la Callas change de répertoire, mettant ses formidables moyens vocaux et dramatiques d’actrice-chanteuse au service d’héroïnes réservées alors à des sopranos colorature légères sans grande consistance. Elle «réinvente complètement» la Traviata ou la Gilda de « Rigoletto », tout comme certains Rossini, Bellini et Donizetti.
Non seulement elle redécouvre tout un répertoire belcantiste oublié, mais lui imprime sa marque à jamais, et toutes les divas à venir se réclament de cette révolution, les Monterrat Caballé, Renata Scotto, Mirella Freni, Edita Gruberova, Shirley Verrett, Regine Crespin, Joan Sutherland, Jessye Norman, et autres.
Jusqu’à aujourd’hui avec Natalie Dessay à sa grande époque, avec Patricia Ciofi, Anna Netrebko, ou la lumineuse Sondra Yoncheva qui nous a tenus cet hiver sous son charme dans la «Iolanta» de l’Opéra Bastille, ou la nouvelle star du Met, Christine Opalais. Présentée dans Madame Buterfly» au cinéma samedi dernier dans la série «Live from The Met» (voir «Les liaisons dangereuses du cinéma et de l’opéra»), sa mort m’a fait pleurer (larmes que je réservais jusqu’à présent à mes mortes chéries que sont la Traviata ou Mimi de «La Bohême»). Devant une aussi merveilleuse chanteuse-actrice, on pense toujours et encore à la Callas, puisque là aussi est sa révolution. La diva lettone est si belle, son chant si habité, son jeu si intense, que c’était un délice de ne pas en perdre une miette grâce à la caméra, ce qui est bien rare et m’a coûté mes larmes.
Autre frisson récent : celui que m’a donné la déjà célèbre jeune soprano colorature française de trente-et-un ans Sabine Devieilhe dans «Mithridate», composé par Mozart à quatorze ans, monté au Théâtre-des-Champs-Elysées en février dernier. La distribution et la direction d’orchestre étaient bonnes, les arias succédaient aux arias, la mise en scène contemporaine baignait dans l’obscurité, bref ça ronronnait un peu quand à la fin du premier acte, le roi Mithridate fit son entrée accompagné d’Ismène, fille du roi des Parthes, alias Sabine Devieilhe. Et là, pour moi, tout a changé : car en dépit de sa frêle silhouette et de sa voix de colorature brillante mais d’une ampleur modeste, elle savait mettre toute sa science du chant au service de son personnage, nous faisant pénétrer dans une dimension supérieure, une dimension proprement calassienne.
Parions qu’il sera difficile de trouver une place au Théâtre des Champs-Elysées pour l’entendre dans une version de concert de «La Somnambule» le 11 avril prochain, mais on pourra se rattraper lors du prochain festival d’Aix-en-Provence où elle interprètera le rare Haendel «Il trionfo del tempo».
Et toujours en droite ligne de la révolution callassienne, on parle beaucoup de cette cantatrice américaine Sondra Radvanosky, qui interprète cette saison au Met les trois grandes héroïnes de Donizetti , une performance rarissime : «Anna Bolena», «Maria Stuarda» et «Roberto Devereux», trois sommets belcantistes. Nous aurons la chance de voir la troisième de ces héroïnes dans la série «Live from The Met» le 16 avril prochain.
Nous pourrons aussi nous rendre très bientôt à l’Opéra Bastille pour vérifier si la soprano russe de trente-six ans Olga Peretyatko mérite ou non le titre de diva. Elle semble en être convaincue elle-même, jouant beaucoup de son physique et de ses aigus. J’avais trouvé que cette rossinienne confirmée jouait d’ailleurs un peu trop de l’un et des autres dans le rôle de Fiorilla du «Turco in Italia» de Rossini au festival d’Aix-en-Provence en 2014.
Plus de coquetterie à la Fiorilla cette fois : elle va affronter les périlleuses vocalises et le destin tragique de Gilda, la fille trop aimée et trop aimante du bouffon verdien «Rigoletto», dans une mise en scène très attendue de l’allemand Claus Guth qui fait ses débuts à l’Opéra de Paris.
Lise Bloch-Morhange
** Opéra Bastille, “Rigoletto”, Verdi, 11 représentations avec Olga Peretyatko du 9 avril au 24 mai
**Théâtre des Champs-Elysées, « La Somnambule », Bellini, version de concert, lundi 11 avril
** « Live from the Met», « Roberto Devereux », samedi 16 avril
**Festival d’Aix-en-Provence, “Il trionfo del tempo”, Haendel, 6 représentations du 1 au 14 juillet
**Richard Martet, “Les grandes divas du XXème siècle”, Buchet Chastel, CD inclus 7 h de musique
Passionnante ballade en colorature. Merci LBM !