Ca déménage à l’Opéra de Paris avec « Iolanta » et « Casse-Noisette »

Casse-noisette. Photo: Agathe PoupeneyLe nouveau patron de l’Opéra national de Paris, Stéphane Lissner, s’est fait connaître depuis longtemps pour la liberté qu’il laisse aux créateurs, comme à Patrick Chéreau en son temps. Revenu à Paris, après un détour d’une quinzaine d’années par le festival lyrique d’Aix-en-Provence puis la Scala de Milan, sa première saison ne dément pas sa réputation et fera date dans l’histoire de la Maison, et même au-delà.
La vision du «Moïse et Aaron» de Schönberg par le plasticien Romeo Castellucci, puis celle de la «Damnation de Faust» de Berlioz par le provocateur letton Alvis Hermanis ont beaucoup fait parler d’elles et réagir le public!  Qu’on se le dise : ça déménage à l’Opéra de Paris !

Voici une nouvelle audace de la part de Lissner, qui présente le doublé opéra-ballet «Iolanta/ Casse-Noisette» lors de la même soirée, tel qu’il fut composé et donné par Tchaïkovski en décembre 1892 au théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg pour onze représentations. Nous avons vu que la direction musicale de cette excitante production à été confiée à maestro Altinoglu (cf. Les Soirées de Paris «Conversation avec maestro Alain Altinoglu»), tandis que le russe Dmitri Tcherniakov «coiffe» à la fois la mise en scène de «Iolanta» et de «Casse-Noisette».
Et c’est là que se situe le nœud de cette passionnante entreprise avec cet autre trublion des scènes lyriques qu’est Tcherniakov, dont les affinités avec Tchaïkovski sont profondes (il aurait eu la révélation de l’opéra à treize ans grâce à un «Eugène Onéguine» donné au Bolchoï).

Ceux qui ont vu son «Eugène Onéguine» avec la troupe du Bolchoï accueillie au Palais Garnier en 2008 ne seront pas surpris par le dispositif scénique de «Iolanta», puisqu’il reprend le même. Je n’avais pas vu cette production à Garnier en 2008, mais j’ai pu assister à sa version (remarquablement) filmée jeudi 3 mars au Normandie, sur les Champs-Elysées, dans le cadre de la série «UGC Viva l’Opéra», et le DVD est toujours disponible.
Le Russe réédite la double gageure de «Eugène Onéguine» : «Iolanta» se déroule dans un cadre découpé dans un mur de scène noir, tel une grande boîte de lumière évoquant une scène de théâtre, en retrait de la rampe, et dans un décor unique.

Opera de Paris Iolanta Casse.Noisette. Photo: Agathe Poupeney

Iolanta/Casse Noisette. Photo: Agathe Poupeney

Nous sommes dans un petit salon aux murs blancs éclairé par de hautes fenêtres à l’arrière plan et par un grand lustre blanc au premier plan, meublé de deux larges fauteuils et d’un guéridon recouverts de tissu blanc, et de quelques chaises au fond. Par les fenêtres, on aperçoit des arbres. Seule décoration : un arbre de Noël derrière le guéridon et deux grands vases blancs au premier plan, qui servent tous trois la dramaturgie.
Symphonie en blanc (par opposition à la nuit dans laquelle vit Iolanta aveugle de naissance), ambiance intime à la Tchékhov (même si on se trouve dans le palais du roi de Provence), dans laquelle – c’est son génie – Tcherniakov va insuffler la vie par des jeux de scène incessants incroyablement inventifs. Les personnages vont sans cesse entrer et sortir, ouvrir et fermer les rideaux, boire du thé ou du vin, rire ou pleurer, s’étreindre, se déchirer, se lamenter, se réjouir, afin que la belle Iolanta, fille du roi René, aveugle de naissance mais qui ne le sait pas, puisse recouvrer la vue grâce au chevalier inconnu dont la voix l’a troublée.

Tout comme le faisait Chéreau, Tcherniakov dirige les chanteurs comme des acteurs, à la virgule près, et les dote d’une vraie personnalité, un tour de force réussi pour les principaux rôles masculins –le roi René, Vaudémont, Robert-, tous trois russes ou slaves, dotés du souffle nécessaire. Dans le rôle de la nourrice Martha, la mezzo russe Elena Zaremba allie éclat vocal et présence scénique, alors que la star bulgare Sonya Yoncheva, dans le rôle titre de Iolanta, déploie son beau timbre de soprano dans de grandes envolées poignantes.

Attendez-vous à un choc lorsque «Casse-Noisette» succède à «Iolanta», la transition entre l’opéra et le ballet, signée du maitre de la soirée, est une merveille, mais il ne faut pas la dévoiler. Non content de mettre en scène l’opéra, il a réécrit l’argument du ballet en se rapprochant du conte d’Hoffmann dont il s’inspire à l’origine, répondant au désir secret de Tchaïkovski déplorant que le ballet soit un simple divertissement.
Si bien que cette fois, nous sommes loin du conte de fée !
Oubliez tous les «Casse-Noisette» que vous avez pu voir, y compris celui de Rudolf Noureev entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 1985 !
Tcherniakov ayant à la fois lié et opposé les deux œuvres, «Il y a de la lumière dans «Iolanta» et beaucoup d’ombre dans «Casse-Noisette» », comme il est écrit dans le programme.
Autre innovation : non content d’avoir réécrit le ballet, avec la jeune Marie pour héroïne, et d’y avoir subtilement glissé des rappels de «Iolanta», le metteur en scène a demandé à trois chorégraphes contemporains de se charger des différents tableaux, sans leur donner le choix d’ailleurs. Arthur Pita signe la chorégraphie de l’Anniversaire de Marie, Edouard Lock celles de La Nuit, la Forêt, le Divertissement, et Sidi Larbi Cherkaoui le Pas de deux, la Valse des Flocons, la Valse des Fleurs et le Pas de deux et Variations du tableau final. Dans le rôle de la Mère, la danseuse étoile Alice Renavand fait des merveilles.

Photo: Lise Bloch-Morhange

Photo: Lise Bloch-Morhange

Le choc est considérable : nous sommes loin des rêves de Marie, mais au plus près de ses cauchemars… Cette irruption de la danse et du monde contemporains dès le tableau succédant à l’Anniversaire de Marie, cette pluie de gravats s’abattant sur la scène, cette ambiance de fin du monde laissent les spectateurs sidérés. Peu à peu ils s’habituent, mais bien entendu un certain nombre, frustrés de tutus et de pointes, se sont fait entendre lorsque Tcherniakov est venu saluer le 11 mars dernier, vite mis en minorité par des applaudissements redoublés.
Un des grands bonheurs de la soirée est d’entendre Alain Altinoglu diriger l’orchestre de l’Opéra de Paris dans les ors et l’intimité de l’Opéra Garnier.
A ce propos, espérons que le nouveau patron de l’Opéra de Paris ne manquera pas de faire remettre en l’état les cloisons des loges des balcons (récemment modifiées), telles que Charles Garnier les avait conçues…

Lise Bloch-Morhange

Opéra national de Paris
Palais Garnier
11 représentations du 11 mars au 1
er avril

 

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2 réponses à Ca déménage à l’Opéra de Paris avec « Iolanta » et « Casse-Noisette »

  1. person philippe dit :

    Bonjour Lise,
    coïncidence, hasard objectif… avant de cliquer sur votre article, j’avais fait une nuit de tri intensif dans un studio que je vide de kilotonnes de papiers… et j’étais tombé sur des articles de la belle revue « City » que vous aviez signés… et qui montraient que vous aviez déjà un beau brin de plume…
    au plaisir donc de vous lire hier aujourd’hui ou demain !

  2. Mille mercis Philippe,
    j’ai beaucoup aimé « City Magazine International », belle revue fondée par mon ami Edouard de Andréïs mort très prématurément. Elle ne lui a pas survécu.
    J’ai collaboré à la revue à mon retour des Etats-Unis, ce qui nous ramène à Hollywood et…à ces frères Coen que vous n’aimez pas, contrairement à moi! Heureusement que nous ne sommes pas d’accord sur tout!
    Bien chaleureusement,
    Lise

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