Dans ce numéro 17 de « La guerre aérienne » paru en mars 1917, il y avait de quoi être un peu frustré. L’articulet de la page 272 commence en effet par « Il y a quelque temps nous demandions à qui de droit si… » et ne continue pas. Juste en-dessous en effet il est indiqué entre parenthèses « 15 lignes censurées ». La guerre battait son plein, la censure faisait du zèle.
Il est pas tout à fait inutile de rappeler ce que c’est que la censure alors qu’au mois de novembre dernier un certain nombre de députés, dans la suite des attentats du 13, avaient voulu encourager par la loi le rétablissement du contrôle de la presse (1).
Dans ce numéro passablement jauni de « La guerre aérienne », dont on pouvait se procurer un exemplaire pour soixante centimes, la censure est partout. Ce qui ne convient pas est blanchi sans motif explicite.
Ainsi en tête d’un article titré « Deux beaux duels aériens », il y a un grand blanc ou plutôt un grand bistre orangé, au milieu duquel on peut lire « Cliché supprimé par la Censure » avec un « c » majuscule pour censure. Dans sa promptitude, le censeur ayant négligé de biffer la légende, il donc possible avec un effort d’imagination et sans trahison à l’ennemi, de se figurer un avion Maurice Farman « en mission de reconnaissance ». Et plus loin il y a comme un avertissement puisque tout à l’heure, « si un Boche survient, il l’apprendra à ses dépens ».
C’était au lecteur de compléter les trous par voie de spéculation. Le compte-rendu de combat du sergent de G… a été censuré à deux reprises. Il « rectifie » un appareil ennemi mais après sa chute où les deux occupants « eurent la chance inouïe de s’en tirer sans le moindre mal », la censure est intervenue, laissant un vide à la place du plein. Ce qu’a voulu préciser le journaliste-narrateur: mystère.
La chute (du papier) a également été tronquée. Elle n’avait pourtant pas l’air partie pour être méchante. « Usant d’une manœuvre désespérée, ainsi sommes-nous tenus en haleine, surtout avec son avion fatigué et touché à plusieurs reprises, de G… s’engagea en chute verticale. Il allait s’aplatir sur le sol ennemi, lorsque par miracle, il parvint à 600 mètres, à redresser son appareil ».
Le jeu serait de continuer le récit sur les 17 lignes qui ont été effacées autour de cet intrépide sergent d’à peine plus de 20 ans posant par ailleurs pleine page en pull à col roulé, dans un genre de tenue de ski parfaite pour Chamonix.
La censure cette semaine-là, avait laissé tranquille les dessins humoristiques du mitrailleur Fernand Billard « ex-élève pilote ». Si le journal était venu tomber mégarde aux mains de l’ennemi, il aurait eu de quoi rigoler et ça, c’était quand même permis.
PHB