Avant de disparaître précocement dans les airs en 1918, à l’âge de trente ans, Roland Garros avait rédigé des mémoires couvrant seulement cinq années. Elles avaient été commentées par Blaise Cendrars qui en avait parlé comme d’un document « extraordinaire », « pittoresque » et « vivant ». Cependant, le pionnier de l’aviation qu’était Roland Garros qui ne parlait ni de journal et encore moins de mémoires mais de « notes » avait remis cinq tapuscrits à cinq amis avec la prière expresse de ne jamais le publier. Le texte intégral est sorti en décembre 2015 aux éditions Phébus.
En faisant une recommandation très ferme à ses amis, Roland Garros avait peut-être un doute sur la qualité de l’ensemble. On ne peut lui donner tort. Sur le plan littéraire, cela ne vaut pas grand-chose. Vol après vol, de chutes en victoires, il est en effet permis de se lasser sauf s’il faut tuer trois heures en TGV.
Pourtant, au début on s’y laisse prendre. Roland Garros faisait partie d’une bande de casse-cou passionnés qui commencèrent par s’élever d’un mètre dans les environs de Juvisy et brisèrent record sur record dans les années suivantes, jusqu’à 5000 mètres en ce qui concerne Garros.
Il s’était acheté une « Demoiselle » sorte de vélo ailé dont le moteur démarrait et s’arrêtait dès que ça lui plaisait, au décollage, à l’atterrissage ou en vol. On ne comptait plus les accidents. Un jour, alors que son appareil rendait l’âme alors qu’il survolait Versailles, Roland Garros s’écrasa d’assez haut avenue de Paris. Il ne se brisa que le coccyx. Aux témoins qui s’étaient précipités pour lui porter secours il refusa qu’on le manipule mais accepta sans protester un cordial.
Et c’est peut-être ce qui surprend le plus dans cet ouvrage quand même épais de plus de 400 pages. Ces fous-volants profitaient d’une liberté sans égale avec ou sans brevet de pilote. Ils ne dédaignaient pas manger et boire un bon coup avant le départ et recommencer aux liqueurs, afin de se réconforter, dès l’arrivée. Hommes, femmes, ces pionniers sont à peu près tous morts très tôt, il était donc permis de rigoler avant.
Toute une époque, qui avait aussi ses travers vu de 2016, avec quelques propos racistes sur les « nègres » rencontrés en Amérique lors des tournées d’exhibition encore que Garros dénonce parfois ce qui le choque quand il voit des américains traiter des noirs comme au temps de l’esclavage. Ce livre est le reflet d’un début de siècle avec ses travers. Cependant il serait comme délicat en 2016, de donner des leçons.Retenons cette photo publiée dans le portfolio de Roland Garros à Dinard en 1911. Il est aux commandes de son Blériot XI avec ses roues de vélo. Sur le cliché, il a les bras en l’air, il vole en triomphe, comme il rêvait de la faire dès son enfance. Voilà, c’est Icare qui revient nous voir.
PHB
Roland Garros, Mémoires. Editions Phébus. 23 euros
Profitons de l’occasion pour rappeler que le stade Roland-Garros s’est installé en 1928 en face de son voisin le Fleuriste d’Auteuil, chef d’œuvre architectural et paysager édifié en 1898 par Jean-Camille Formigé, aussi connu en son temps que son ami Eiffel. Le stade de tennis n’ayant cessé ensuite de grignoter du terrain sur les pépinières de son voisin qui l’entouraient.
Pourquoi ce casse cou des airs a-t-il donné son nom au stade de tennis français, mystère…
Mais ce qui n’est pas mystérieux et que beaucoup ignorent, bien que ce soit évoqué notamment dans l’ouvrage de Marc Perelman « L’Ere des stades »(Infolio, page 84) est que le stade Roland-Garros a servi de camp d’internement pendant la dernière guerre pour « étrangers indésirables ». Alain Malraux (tout comme Marc Perelman, il est membre de mon Comité de soutien des Serres d’Auteuil) m’a raconté comment André traversait tout Paris pour apporter des colis à Arthur Koestler et Manès Sperber internés dans le stade.
Alors que les dirigeants de Roland-Garros sont si fiers de leur héros des airs, le héros en question ne serait sans doute pas très fier qu’un stade portant son nom ait servi de camp d’internement, et pas davantage des projets actuels d’extension de ces dirigeants: alors que lors de la dernière extension en 1991 le président Philippe Chatrier s’était engagé à ce que le stade ne s’étende jamais de l’autre côté de l’avenue Gordon Bennett, les dirigeants actuels veulent dénaturer et défigurer à tout jamais le chef d’œuvre de Formigé en y construisant un stade de tennis de 5 000 places!
Parions que le pauvre Roland Garros qui passait son temps dans les airs doit s’en retourner dans sa tombe…