En ces temps de grisaille froide, l’invitation de l’Institut des Cultures d’Islam (ICI) à une immersion dans les vapeurs chaudes des bains traditionnels est bienvenue. L’ICI expose en effet les clichés réalisés par 17 photographes de Tunisie et d’ailleurs sur les hammams historiques de la médina de Tunis. Parmi les 50 hammams inventoriés au XIXe siècle, seuls 26 sont encore en activité, 17 ont disparu et 7 sont fermés. Faut-il en conclure que la tradition se perd?
Le hammam a été de tout temps – et est encore aujourd’hui – un lieu de rite purificateur, de repos et de détente mais aussi un lieu de rencontre et de socialisation. Le hammam, ce sont les murmures, les secrets partagés par des générations de Tunisiens, secrets aussitôt absorbés par les murs chaulés.
A quoi tient la disparition des hammams historiques ? Certes, les appartements de la médina sont aujourd’hui nombreux à être équipés de salle-de-bains mais cela n’a pas mis fin au rite social. C’est avant tout, le système de chauffe passé du bois au gaz et les transformations nécessaires pour répondre aux mesures d’hygiène (comme les murs, traditionnellement chaulés en Tunisie, à couvrir de carreaux) qui ont entraîné des dépenses difficiles à assumer pour la plupart des propriétaires de ces vieux hammams.
Malgré les changements, les hammams subsistant accueillent toujours une clientèle de quartier fidèle. A tout âge, les Tunisiens aiment se rencontrer là pour s’adonner aux soins du corps tout en conversant et partageant des histoires. Certains n’hésitant pas à parcourir 50 kilomètres pour retrouver l’atmosphère de leur jeunesse.
Loin de la peinture orientaliste, le travail des photographes exposés à l’ICI nous fait découvrir les bains sous un angle aussi bien historique et architectural que social. Car en Tunisie, chacun a un lien, un vécu avec le hammam. Il fait partie de l’histoire de chaque Tunisien tout comme ses employés. L’un des masseurs du Hammam Chabbou va même jusqu’à affirmer que «le hammam est un médecin muet»!
Le hammam marque également le passage de l’âge d’enfant à l’âge d’homme. Lorsque le regard des enfants change à l’égard des femmes, ils cessent d’accompagner leur mère au hammam pour le fréquenter avec leurs père et frères (thème du film Halfaouine, l’enfant des terrasses de Ferid Boughedir , projeté à ICI le 10 mars). Le suisse Max Jacot a illustré la première séance d’un jeune garçon au hammam « des hommes ». En faisant le portrait de l’employé affecté à la chauffe au bois du bain Eddhab, l’un des derniers à employer ce système, il a saisi un autre instant rare. Depuis, il est passé au gaz et l’employé a perdu l’emploi qu’il occupait depuis des décennies.
Jacques Pion a photographié l’un des plus bains les plus anciens, Er-Remmimi, construit en 1245. Ses photos témoignent des transformations récentes qu’ils ont subies. Aujourd’hui, les seaux en plastique ont remplacé les récipients en cuivre. Le service des foutas (pagnes traditionnels à disposition sur place) a disparu, chacun apporte désormais sa serviette et son matériel, mesure d’hygiène oblige. De même, les socques traditionnels de bois à lanière n’ont plus cours, remplacés par des sandales en plastique (voir la photo nostalgique de Hamiddeddine Bouali, en bas de l’article).
Rania Dourai s’est particulièrement intéressée aux métiers traditionnels des hammams, souvent dénigrés de nos jours. Barbiers, coiffeurs, tayebs ou masseurs, et harzas, ces employées qui aident les femmes dans les soins du corps (gommage, rassoul, épilation, massage). Rania rappelle lors de notre échange qu’autrefois le hammam était parfois l’endroit où les femmes allaient repérer d’éventuelles épouses pour leur fils.
Cette exposition est organisée dans le cadre d’un projet de mobilisation citoyenne, lancé par l’association L’Mdina Wel Rabtine (Actions citoyennes en Médina) pour la sauvegarde des bains historiques de Tunis, une belle initiative. Elle est accompagnée de très nombreux rendez-vous en arts de la scène, cinéma, littérature et ateliers. Nombre d’entre eux sont gratuits.
Lottie Brickert
Regards posés. Hammams de la Médina de Tunis. Exposition (entrée libre) du 11 février au 3 avril 2016 les mardi-jeudi : 13h00 – 20h00 – vendredi : 16h00-20h00 – samedi-dimanche : 10h00-20h00. ICI Goutte d’Or, 56 rue Stephenson et ICI Léon, 19-23 rue Léon, 75018 Paris.
Vu l’exposition qui méritait bien ce bel article. PHB
Très beau texte où l’on reconnait tes talents de conteuse. J’ai failli assister au vernissage, on s’y serait croisées peut-être. Un reportage qui fait voyager et donne envie de se couler dans la chaleur humide du hammam. Pourquoi ne pas le proposer au « dixhuitième du mois » ?
encore une très belle invitation à la découverte et à l’ouverture grâce aux talents et à la curiosité heureuse de Lottie. Je vais y aller c’est sûr ! Merci