Chagall mis en musique à la Philharmonie de Paris

Le plafond de l'opéra décoré par Chagall. Photo: Valérie MaillardLorsque André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, confie en 1963 à Marc Chagall la décoration du plafond de l’Opéra de Paris, le peintre est au faîte de sa gloire. Il a peint les vitraux de la cathédrale de Metz et multiplie les projets monumentaux depuis le début des années 1960. Une sorte de retour à ses débuts, trente ans plus tôt, lorsqu’il peignait déjà les décors du Théâtre d’art juif de Moscou.

La critique est violente, on crie au scandale. Le ministre, pour faire passer la pilule, préconise un plafond démontable : au cas où Chagall « passerait de mode » (!) on pourra toujours revenir au plafond d’origine de Jules Lenepveu. Malraux ne fait qu’aggraver les choses, Chagall est pris à partie et la polémique mettra longtemps à désenfler.

Marc Chagall a baigné toute sa vie dans la musique, c’est ce que s’attache à nous prouver l’exposition « Chagall, le triomphe de la musique » à la Philharmonie de Paris, qui se tient jusqu’à la fin du mois de janvier (1). Celle-ci ouvre précisément sur le plafond de l’Opéra Garnier. Chagall a conçu cette œuvre comme une fleur déployée à cinq pétales et à cinq couleurs dominantes (blanc, rouge, jaune, bleu et vert), rendu hommage à 14 compositeurs et à leurs créations musicales. Pendant près d’un an, il a réalisé une cinquantaine d’esquisses, usant de techniques variées (crayon, encre, gouache, feutre, collages, etc.) et confectionné deux maquettes, dont une servira à composer la toile finale. Dès 1963, le photographe Izis propose à Chagall de suivre la création du plafond, depuis les premières esquisses dessinées en atelier jusqu’à la fixation du décor. Le diaporama de ce travail photographique qui relate l’accomplissement de cette œuvre monumentale est proposé aux visiteurs.

En partenariat avec l’Opéra de Paris, le Lab de l’Institut culturel de Google, à Paris, a numérisé en ultra-haute définition le plafond de Chagall. Cette numérisation permet d’approcher en très gros plan des détails invisibles à l’œil depuis le sol. Projetée sur grand écran et accompagnée d’un fond musical, l’animation donne un peu le tournis, mais c’est une jolie idée. Par ailleurs, fait rare, sinon inédit, la somme des esquisses réalisées par le peintre a été rassemblée. Prenez le temps de les contempler d’assez près.

"La musique", panneau pour le Théâtre d'Art juif de Moscou (1920), Marc Chagall. Photo: VM

« La musique », panneau pour le Théâtre d’Art juif de Moscou (1920), Marc Chagall. Photo: VM

Chagall est né en 1887 dans la communauté juive hassidique de Vitebsk (empire de Russie). Contrairement à son contemporain Chaïm Soutine – qui lorsqu’il peignit le portrait du rabbin de son village fut enfermé dans les frigos du boucher au motif que l’on ne doit pas peindre des images du divin –, Chagall a été soutenu par sa mère qui l’inscrit à l’âge de 16 ans à l’école d’art de sa ville natale. Plus tard, à Saint-Pétersbourg, il suit la formation du peintre Nicolas Roerich (décorateur de Serge de Diaghilev) et rencontre Léon Bakst (peintre décorateur et futur directeur artistique des ballets russes) dont la renommée est internationale.

En 1911, Chagall pose ses valises à Paris où il arrive avec l’aide du mécène Maxime Vinaver. Paris est alors la capitale du renouveau artistique. Il s’installe à la Ruche, un ancien pavillon des vins près de Vaugirard, où logent et travaillent la plupart des artistes de Montmartre. Il rencontre Pablo Picasso, Sonia et Robert Delaunay, Fernand Léger, Blaise Cendrars, Max Jacob et Guillaume Apollinaire. Ensemble ils vont boire des cafés crème au Dôme ou à La Rotonde ; ils n’ont pas le sou, c’est la boisson la moins onéreuse et le patron, souvent, ne fait pas payer. A la Ruche, Chagall peint debout, nu face à ses toiles, travaillant sans relâche, se nourrissant de harengs (2). Il mange aussi pour pas cher à la cantine de Marie Wassilieff. Malgré ses efforts il ne vend presque rien, il repart en Russie. Ce sera bientôt la guerre, puis la révolution d’Octobre…

Lorsqu’il revient à Paris en 1922, Chagall fait la connaissance du marchand d’art de Cézanne, Ambroise Vollard, qui lui fait une importante commande d’illustrations. En Allemagne, sous Hitler, Chagall figure sur la liste des « artistes dégénérés ». Naturalisé français en 1937, il est en France lorsque la guerre est déclarée. Il y reste jusqu’à son arrestation. Il est relâché, mais c’est pour lui un avertissement. En 1941 il rejoint alors les Etats-Unis, où il jouit d’une belle notoriété, et y retrouve Léger, Breton et Bernanos.

Aperçu de l'exposition. Costumes pour "La Flûte enchantée". Marc Chagall. Photo: VM

Aperçu de l’exposition. Costumes pour « La Flûte enchantée ». Marc Chagall. Photo: VM

Toute sa vie Chagall a entretenu avec les arts de la scène, et particulièrement ceux de la musique, un rapport passionné. A l’occasion de ses séjours divers, il a accumulé les rencontres professionnelles qui ont orienté et dirigé sa carrière artistique. En exil aux Etats-Unis, il est sollicité par le Metropolitan Opera de New York pour réaliser les costumes pour le ballet « Aleko » de Tchaïkovsky, monté en 1942 à Mexico. Puis pour ceux de « L’Oiseau de feu », mis en musique par Stravinsky et donné à New York en 1945. L’exposition de la Philharmonie consacre une large part à cet aspect du travail de Chagall en présentant de nombreux costumes qu’il imagina également pour la scène parisienne à son retour d’exil.

Elaborée en ordre inversé, donc en remontant le temps, l’exposition de la Philharmonie se termine sur les premiers travaux de Chagall réalisés dans les années 1920 pour le Théâtre juif de Moscou. Un pari qui fonctionne plutôt bien, l’ambition étant de démontrer par un déroulé progressif de sa carrière à quel point le plafond de l’Opéra de Paris – peut-être l’œuvre de Chagall la plus connue du public français – est l’aboutissement d’un long parcours artistique des plus cohérents. Et, en quelque sorte, une œuvre d’art total réunissant la somme de toutes les œuvres de Chagall l’ayant précédée.

Valérie Maillard

(1) Parallèlement se tient à Roubaix (à La Piscine, musée d’art et d’industrie André Diligent) l’exposition « Marc Chagall, les sources de la musique » qui s’intéresse à la place de la musique dans l’inspiration et la construction de l’œuvre de l’artiste. Jusqu’au 31 janvier.

(2) « Le temps des bohèmes », par Dan Franck. Ed. Grasset.

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Esquisse de Jules Lenepveu pour le premier plafond de l'Opéra Garnier. Musée de l'Opéra.  Photo: VM

Esquisse de Jules Lenepveu pour le premier plafond de l’Opéra Garnier. Musée de l’Opéra. Photo: VM

« Marc Chagall, le triomphe de la musique », à la Philharmonie de Paris, 221 avenue Jean-Jaurès, Paris 19ème. Jusqu’au 31 janvier.

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3 réponses à Chagall mis en musique à la Philharmonie de Paris

  1. Pasko Simon dit :

    Merci pour la belle histoire de la vie de Chagall.

  2. Steven dit :

    Très intéressant merci. S.

  3. de FOS dit :

    Merci pour la visite.

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