Ce qui est particulièrement frappant dans la réunion en trois volumes des souvenirs de Louise Elisabeth Vigée-Le Brun, c’est sa façon de se pincer le nez à l’égard de la période révolutionnaire. « Qui n’a pas vécu dans les années voisines de 1789 ne sait pas ce que c’est que le plaisir de vivre indiquera Talleyrand » dans une citation rappelé en préambule. Un plaisir qui n’était pas pour tout le monde et même réservé à une certaine élite, dont la peintre qui côtoyait la Cour, faisait partie.
Louise Elisabeth se souvient en effet de l’année 1789 comme d’une période « affreuse » qu’elle fuira dans l’incompréhension totale des événements. « La terreur s’emparait déjà de tous les esprits sages » écrit-elle ingénument en évoquant la « populace rassemblée à la barrière de l’Etoile » qui injuriait les gens en voiture.
Indéniablement le transit révolutionnaire et son bain de sang a de beaucoup disqualifié la Révolution avec des exactions terribles à l’égard de l’ennemi visé. Terreur et plus tard Terreur Blanche, le comportement des uns et des autres a été ni plus ni moins abominable.
Mais il est également incontestable que le regard porté par la noblesse sur ceux qui n’étaient pas des leurs révélait aussi un mépris insupportable. L’étonnement de l’artiste à l’adresse de tous ces furieux est consternant d’ignorance, faisant sur ce point passer la jeune femme raffinée qu’elle était pour une écervelée irrécupérable.
Pour elle « les misérables » tenaient alors des propos « infâmes ». Elle se plaignait entre autres choses que dans sa maison du Gros Chenet, l’on jetât du souffre dans ses caves à travers les soupiraux. Par sa fenêtre elle observait les « grossiers sans-culottes » qui la menaçaient de « mille poings ». L’auteur des si distingués portraits qu’elle fit d’elle-même ou de Marie-Antoinette ne vivait plus que « dans un état d’anxiété et de chagrin profond ».
Elle en perdait jusqu’à l’appétit et peu avant de quitter la France, elle se réfugie chez ses amis les Brongniart, ne réussissant à avaler que du vin de Bordeaux et du bouillon. De quoi tenter d’oublier le « vilain monde » qui se pressait devant la grille des Invalides.
Quittant enfin Lyon pour la Suisse elle cherche ses mots pour exprimer la joie qu’elle éprouve à quitter son pays.
On ne peut guère reprocher à Louise Elisabeth sa sincérité exprimée dans une façon aussi fluide et naturelle qu’elle réalise ses portraits, célèbres pour être notamment dénués de l’académisme décourageant qui prévalait le plus souvent.
Dans ses souvenirs qui explorent des univers bien plus larges que la politique et ses désagréments, figurent cependant en appendice quelques conseils récréatifs de peinture, aussi exquis que délicats. « Si l’on doit peindre une gorge, expliquait-elle ainsi, éclairez-la de façon qu’elle reçoive bien la lumière. Les plus belles gorges sont celles dont la lumière n’est point interceptée, jusqu’au bouton qui se colore peu à peu jusqu’à l’extrémité ; les demi-teintes qui font tourner le sein doivent être du ton le plus fin et le plus frais ; l’ombre qui dérive de la saillie de la gorge doit être chaude et transparente ».
Les événements ne l’empêcheront pas de vivre jusqu’à 87 ans et de mourir à Paris, la ville qui l’a vue naître avec sur sa tombe, une phrase indiquant qu’ici « elle se repose enfin ». Loin des vilains.
PHB
Souvenirs. Louise Elisabeth Vigée-Le Brun. Citadelles & Mazenod (2015)
Relire l’article de Valérie Maillard sur l’exposition en cours.
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