Un esprit libertaire souffle sur la Butte aux Cailles. Pour qui verrait la Butte aux Cailles comme un Montmartre miniature débarrassé de ses touristes et de ses peintres portraitistes, passez votre chemin ! Cette Butte est d’un autre genre et possède un charme à nul autre pareil, enrichi par ses nombreux auteurs de « street art ».
Son histoire y est sans doute pour beaucoup. Située dans le sud de Paris, plus précisément dans la partie ouest du 13ème arrondissement, délimitée par les rues Bobillot et Barrault et le Boulevard Auguste Blanqui, elle se compose de quelques rues convergeant vers une ravissante placette au nom chargé d’histoire : la place de la Commune de Paris. Celle-ci fut nommée ainsi en souvenir de la bataille qui opposa en mai 1871 les Communards aux forces versaillaises. Né à la suite d’un soulèvement des Parisiens – pour la plupart ouvriers et employés –, le mouvement communard était composé de groupes d’extrême gauche (jacobins, marxistes, blanquistes et anarchistes). L’Association des Amis de la Commune de Paris, qui s’est donnée pour mission de faire connaître l’histoire de la Commune et d’en entretenir la mémoire, encore très active de nos jours, est installée à quelques mètres de là, au 46 rue des Cinq Diamants.
Même si elle n’a plus rien d’un quartier ouvrier, la Butte aux Cailles a conservé une certaine simplicité. Ses rues pavées et le plus souvent étroites – parfois piétonnes –, ses passages exigus accueillent des immeubles de petite taille ou des maisons fleuries avec jardinets à la végétation abondante. Dès les premiers jours de printemps, les glycines, à la floraison généreuse et délicieusement odorante, débordent dans les rues. Les restaurants et cafés, quelques boutiques et commerces semblent surgir d’un autre âge et échapper à la modernité à tout va (cordonnerie, retoucherie, papeterie…). Les tours de l’avenue d’Italie, le centre commercial et les enseignes de prêt-à-porter appartiennent à un monde éloigné, pourtant situé à quelques encablures à peine.
Ce cadre enchanteur offre une belle vie de quartier à ses habitants et une vie nocturne des plus agréables aux Parisiens avec des institutions incontournables telles que Chez Gladines, Les Cailloux, Le Café du Commerce, La Butte Aveyronnaise… – on ne saurait tous les citer – et, plus récemment, La Butte aux Thaï ou La Butte aux Piafs. Le Temps des Cerises et Le Merle Moqueur nous ramènent à l’histoire de la Butte en nous rappelant le chant des Communards (« Quand nous chanterons le temps des cerises, Et gai rossignol, et merle moqueur Seront tous en fête… » ).
Mais la Butte aux Cailles doit également son charme à ses artistes qui en ont fait une merveilleuse galerie à ciel ouvert. Des artistes poètes qui ont pris les murs pour support, se sont exprimés à travers pochoirs et graffitis. Sans Miss.Tic – la pionnière qui, par ailleurs, célèbre ses 30 ans de création à la Galerie Lelia Mordoch et la sortie de son livre « Flashback » –, Jef Aérosol, Zabou, l’as de trèfle, les artistes des LéZarts de la Bièvre, Missekat… et tous les anonymes, la Butte ne serait pas aussi colorée et imagée. Dès la rue des Cinq Diamants apparaissent les femmes hyper sexy de Miss.Tic – ainsi que quelques hommes aux corps bodybuildés – avec leurs poèmes en forme de slogans et de manifestes féministes non dénués d’humour : « Le temps est un sérial qui leurre », « Mieux que rien c’est pas assez », « Avec l’amour le temps passe vite. Avec le temps il passe moins souvent », « J’ai du vague à l’homme », « L’abus de plaisir est excellent pour la santé », « Le masculin l’emporte mais où ? », « La poésie est un luxe de première nécessité »… Au fil des rues Gérard, Jonas, Samson, Alphand, Buot, Michal, des rues de l’Espérance et de la Butte aux Cailles, des passages Barrault, Sigaud, Boiton et du Moulin des Prés, le passant se trouve nez à nez avec des œuvres murales qui ne sauraient le laisser indifférent. Ces dernières peuvent être gigantesques tels ces immenses portraits de femmes ou ces deux visages d’enfants qui recouvrent à eux seuls une double porte de garage, comme de taille moins importante. Le promeneur doit alors s’amuser à les débusquer au ras des trottoirs, au-dessus des portes d’habitations, tout en haut d’une épicerie d’angle, dans des recoins… La promenade se transforme ainsi en véritable chasse aux trésors. Certaines commandes effectuées sur les rideaux de fer des commerces ne sont visibles que lorsque ces derniers sont fermés. Il faudra donc repasser…
Si Miss.Tic semble la reine incontestable de ce quartier – deux de ses pochoirs encadrent le restaurant Chez Gladines telles deux statues majestueuses, à gauche, un homme accompagné du slogan « Un homme peut en cacher un autre » et, à droite, une femme avec la mention « Alerte à la bombe » –, Jef Aérosol est également présent avec ses pochoirs dont « La musique adoucit les murs » et l’as de trèfle avec ses personnages tout droit sortis d’Alice au pays des merveilles et proclamant « Please define vandalism » ou « Vandalism is in books, Graffiti is on walls ». D’autres artistes les ont rejoints depuis. Et lorsque des dessins disparaissent, d’autres apparaissent aussitôt. Cet art éphémère est en renouvellement perpétuel. Chez certains artistes, les mots sont aussi importants que les dessins et la poésie habite les murs. Par comparaison, un mur blanc peut paraître vide et manquer de caractère. Même le mur de l’école élémentaire Vandrezanne a été entièrement recouvert de dessins colorés sur pratiquement toute sa longueur. On peut imaginer que les enfants ont participé à cette fresque géante.
De nuit, comme de jour, la Butte reste un lieu magique. Illuminée la nuit par ses nombreux lampadaires, sous le soleil ou sous la pluie le jour, elle n’est jamais grise et morose. Les centaines de dessins et de poèmes qui la recouvrent lui confèrent un éclat particulier. L’art de la rue n’a jamais si bien porté son nom et l’esprit libertaire des Communards n’a pas vraiment disparu…
Isabelle Fauvel
Du 6 novembre au 23 décembre 2015, Miss.Tic « Flashback » à la Galerie Lelia Mordoch
Ancienne parisienne vivant depuis de nombreuses années à Lyon, j’ai découvert ce quartier de Paris depuis peu et j’ai été séduite par l’ambiance des lieux.
Article très intéressant sur un sujet peu abordé. Soulignons aussi les excellentes photos qui l’illustrent.
Super article ! Je me permets une précision : l’artiste que vous appelez l’as de trèfle est une pochoiriste du nom d’Alys (la carte à jouer est un as de lys) 🙂