Et puis il y eut la guerre, sans que l’on comprenne pourquoi. Comment s’appelaient-ils ? Yacine ou Ramon, Hanane ou Maria, Pierre ou Madeleine tous les jours que Dieu fait, ils auraient pu se croiser sans se connaître ni se haïr non plus. Et puis il y eut une guerre, sans que l’on comprenne pourquoi.
Mais la plupart des guerres ne s’expliquent pas vraiment. La guerre, la maladie, la famine, il faut partir ailleurs. Jouer sa vie à quitte ou double et espérer être enfin accueilli comme on aimerait l’être, Lukasz le polonais ou Anna la Sicilienne voudraient oublier l’horreur, les yeux de Manouchag l’Arménienne en sont devenus gris et Daniel ne pouvait imaginer l’inimaginable.
L’oubli est parfois un visa nécessaire, pour renaître ailleurs quand le passeport n’est plus qu’un vague papier buvard imbibé d’une histoire illisible. Le terme migrant s’est imposé. Avant, il n’y a pas si longtemps, le môme sur les bancs de l’école devait faire avec émigrant et immigrant. Celui qui quitte son pays mais qui, peut-être, reviendra un jour et celui qui arrive, avec l’espoir au cœur en guise de bagage. Maintenant, le gamin n’a plus qu’un seul mot à apprendre, migrant, les choses sont plus simples même si on ne sait pas quoi en faire.
Je ne parle pas du travailleur le sans papier solitaire qu’un seul rêve motive, retourner vivre au bled. En ce moment, les migrants forment des peuples entiers qui se précipitent sur des chemins de hasard, ce million de Syriens qui savent déjà que tous n’arriveront pas. Foules de Maliens ou d’Erythréens qui jettent leur fortune au bon vouloir de la Méditerranée. Un flash à la radio : Toutes les 10 minutes naît quelque part dans le monde un enfant sans nationalité.
On oublie vite. Rien qu’en France, pendant la Révolution, par exemple, qui se rappelle de la « Virée de Galerne » en 1794 qui conduisit le peuple vendéen sur les routes de Granville. Ils fuyaient devant les armées de la République en 1794. 90.000 hommes, femmes, enfants avec pour toute fortune un sac rempli de farine et quelques pommes pas mûres.
La fin du XIXème siècle se voulait mangeuse d’hommes, on retournait la terre pour en arracher du charbon, des flammes de l’enfer coulaient des rivières rouges pour devenir machine, vapeur, électricité. Ciel et terre brûlaient pour la fortune des forges de la révolution industrielle. Ce furent les Polonais peuple sans patrie qui vinrent faire tourner la machine. Un cavalier de l’Apocalypse inattendu s’invita au bal des banlieues ouvrières, le phylloxera, ce puceron qui détruisit nos vignes contribua à jeter sur les routes,150.000 ruraux entre 1811 et 1913 chaque année.
Les Italiens fuyant le fascisme arriveront bientôt, mal accueillis peut-être mais accueillis quand même. Puis ce seront les Arméniens du moins ceux qui ont échappé à l’horreur turque et les juifs, fuyant l’Allemagne nazie. En 1940 ce fut cet incroyable exode. Huit à dix millions de civils mélangés aux colonnes de soldats en retraite, s’exilent de façon massive, parfois sans but, soit près du quart de la population française de l’époque.
En 1962, les Français d’Algérie n’eurent d’autre choix que de tout perdre faute d’avoir compris la terre qu’ils foulaient de leurs pieds.
BS
Souvenirs d’exil d’un Républicain espagnol
Début avril 1939, les feux de la guerre d’Espagne se sont éteints. Les derniers Républicains embarquent à bord de bateaux britanniques ou français qui mouillaient au large de Marseille, d’Afrique du nord aussi, à bord desquels attendent déjà, dans des conditions pénibles d’autres réfugiés. 400.000 civils ou militaires fuyant les armées franquistes étaient déjà arrivés sur le sol de France. Bientôt, 50.000 retourneront en Espagne. Le gouvernement français s’était opposé à l’ouverture de ses frontières. Il proposa que du côté espagnol, une zone ouverte soit installée pour permettre une aide humanitaire. Les franquistes opposèrent une fin de non recevoir. Le 27 janvier à minuit le gouvernement français ouvrait enfin ses frontières, officiellement aux blessés. Au 10 février, les 220.000 hommes de l’armée républicaine, 170.000 femmes et enfants, 60.000 civils passent la frontière catalane.
Dans « les Mémoires d’exil d’un Espagnol » Luis Bonet Lopez nous raconte son histoire, celle d’un réfugié républicain, arrivé lui aussi en février1939. Nous allons le suivre un moment. Il est amer quand il arrive à la frontière. Lui qui s’est battu pour les mêmes idéaux que ceux du Front populaire aurait aimé davantage de reconnaissance de la part des policiers et douaniers français qui les accueillent en prisonniers de guerre. Ils sont dépouillés de leur armes, ce qui est normal, mais aussi de leurs biens personnels. Certains ont dans une pochette un peu de terre de leur pays, on les oblige à la jeter par terre. Le Leica qui fut témoin et compagnon de combat pendant toutes ces années fut aussi classé en pertes et profits à la seconde où il disparut dans la poche du policier. Ils se regardèrent les yeux dans les yeux. « T’as quelque chose à dire ? » Mâchoires serrées, Luis suivit le mouvement. Dans les mémoires de Luis comme dans la prodigieuse « Guerre d’Espagne », Hugh Thomas relatera le rôle des tirailleurs sénégalais qui installèrent une terreur dans les camps. La triste vengeance des plus faibles.
Les hommes partent à pied pour le camp de Saint-Cyprien, non loin de Perpignan, une centaine de kilomètres. Les femmes et enfants sont séparés et conduits vers des trains qui les conduiront dans le centre de la France mais sans que jamais une information ne soit donnée sur leur destination. Luis se dira plus tard que c’était une manière de pouvoir les renvoyer plus tard en Espagne vers la seule adresse qu’ils connaissent. Enfin ceux qui portèrent le rêve de la République arrivent à Saint Cyprien. Ils n’ont pas mangé depuis deux jours ils ont froid et sont trempés. Pendant dix jours, il est incroyable de penser que rien n’a été prévu pour accueillir les républicains espagnols, ni nourriture ni baraquements alors que la France est encore en paix, et que le gouvernement est issu du Front Populaire .
Trois camps vont être montés en toute hâte dans le Roussillon, sur le bord de mer, celui de Saint-Cyprien et ceux d’Argelès et Barcarès. Dès février 1939, 180.000 prisonniers y seront entassés, avec son cortège de premiers morts, ils sont gelés, trempés, il n’y a rien pour se mettre à l’abri et, les organismes les plus affaiblis n’y résistent pas. La dysenterie et la tuberculose s’invitent et les autorités vont bientôt classer le camp de Saint-Cyprien, zone paludique. Pire, comme si cela ne suffisait pas, bagarres et règlements de comptes éclatent… Le passif est lourd entre les staliniens et les anarchistes, les premiers ayant massacrés les seconds en particulier à Barcelone. Les autorités françaises traitent mieux les Espagnols qui ont fait connaître leur désir de rentrer au pays que les Rouges » que l’on affame. Diviser pour mieux régner.
La vie s’organise, Luiz Bonet Lopez appelle les lieux « son merveilleux camp de vacances ». Comme repas, une boule de pain et un maigre rata. Le camp devient but de la promenade dominicale, on balance de la nourriture par-dessus les grillages. Que regarde le passant, le triste spectacle de quelques hommes se bagarrant une miche de pain ou geste de compassion ?
Alors que des nuages s’amoncellent au dessus de l’Europe, le soleil de la Méditerranée remonte le moral des camps. Désormais on dispose de toilettes avec portes ! C‘est mieux, que le cul dans la mer, mais pas forcement plus hygiénique. Les aides se structurent avec l’arrivée de la Croix Rouge, du Secours Populaire et autres. Lits, nourriture, médicaments et même médecins et interprètes arrivent. Des salons de coiffures, écrivains publics, laveurs de linges s’installent on paye en argent ou en service. On s’est habitué à la promenade du dimanche où par solidarité des artistes vont vendre leurs œuvres. Des amicales d’aide aux exilés s’ouvrent à Bruxelles, Paris et Londres.
Enfin en mars, les baraquements de Barcarès sont achevés, Luis y est arrivé le 22 mars 1939.
Les réseaux politiques clandestins se forment, un en particulier va jouer un rôle important dans les années qui viennent, la MOI (Main d’œuvre Immigrés) qui restera connue sous le nom de l’Affiche Rouge, collée par les Allemands quand le groupe Manouchian fut démantelé.
En septembre l939, Hitler envahit la Pologne, la France et Angleterre lui déclare la Guerre, et c’est la drôle de guerre. Les prisonniers espagnols vont être organisés en Compagnie de travailleurs espagnols, les CTE encadrées par l’armée française. Luis va ainsi se retrouver non loin de Thouars dans les Deux-Sèvres en tant qu’interprète. Sa compagnie arriva dans le village de Louin, et s’installa dans un ancien moulin. Ils s’en vont ensuite vers le bourg, saluer les habitants. Le village semble désert. Ils frappent aux portes des maisons, personne ! La ferme ? Non plus. Il faudra attendre dimanche. Le curé lors de son sermon dominical, passa un savon à ses ouailles. Il assène, « les Espagnols sont nos frères ils souffrent loin de leur famille…) Le soir même, il n’en est pas un seul de la compagnie qui ne fut accueilli dans un foyer.
Mais nous étions déjà dans une autre guerre.
Bruno Sillard
Lecture: « Les Mémoires d’exil d’un Espagnol » Luis Bonet Lopez
Les éditions « La Croix vif » 2002 (le livre n’est pas épuisé)
« La Guerre d’Espagne » Hugh Thomas, Bouquins Robert Laffont
Déjà paru le 17 septembre,
Quand les Roms se sont arrêtés à Montreuil-Bellay
Histoire de migrants et autres histoires/Prochainement: « Un si petit puceron… »
Il faut le lire pour le croire. Oui nous, nos parents ou grands-parents ont bien vécu tout cela. Il faudrait en faire des lectures publiques…
Beau texte, merci. S.
Une petite coquille pour la maison d’édition, il faut lire: édition le Croit vif http://www.croitvif.com
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