Au nom du mensonge ou de la vérité

"Le mensonge". Photo: Emmanuel MuratDans un appartement parisien à la décoration bourgeoise et soignée, Alice – Evelyne Bouix – est prostrée dans son fauteuil : contrariée, déçue ou prête à laisser exploser sa colère ? Paul – Pierre Arditi – (son mari) apparaît, et va bientôt recevoir une pluie de confidences. Dans la salle, le spectateur aussi.
Mais il ne sait pas encore à quel point il va (peut-être) se trouver mal à l’aise ; très loin ou, au contraire, tout proche de ce qui va se jouer là. Et qu’il va rire aussi, quand bien même le rire serait un peu gêné. A ce moment-là, ledit spectateur n’est sûr que d’une chose : ceci est du vaudeville, du vrai !

Car si Alice est en colère, proche du débordement, c’est, dit-elle, parce qu’elle a vu Michel, un ami commun (qui vient justement dîner ce soir avec sa femme Laurence), embrasser une autre femme à la sortie d’une boutique du 9ème arrondissement de Paris. « Il faut tout annuler », décrète Alice. « A moins de trente minutes de leur arrivée ? Tu es sûre ? », s’étonne Paul, un brin contrarié car il vient d’ouvrir deux bouteilles d’un bon vin qu’il aimerait bien déguster entre amis.

Trop tard, Michel et Laurence arrivent. Juste avant de leur ouvrir la porte, Paul supplie Alice de ne rien dire, car « c’est leur histoire, pas la nôtre, et cela ne nous regarde pas. » « Je ne pourrai pas mentir à Laurence, car elle est mon amie », s’insurge Alice au nom de la loyauté. « Le mensonge est parfois une preuve d’amitié », rétorque Paul.

L’amitié, précisément, est bien mise à mal dans cette pièce écrite par Florian Zeller et mise en scène par Bernard Murat. Davantage encore que l’amour, qui lui survivra. La thématique du mensonge dans le couple est une vieille recette de théâtre, toujours rebattue, et il faut passer un bon tiers de cette pièce-là pour s’y immerger car l’ennui s’insinue souvent (trop ?).

« Le Mensonge » invite à réfléchir à cette vérité qui, prétend le proverbe, n’est pas toujours bonne à dire. Bon, pfft… Si le thème n’a rien d’original, c’est le texte, bien écrit, qui tient l’ensemble (il y a de bonnes répliques, du genre : « C’est la vérité vraie que ce n’est pas vrai. ») Et les évidences sonnent comme des aveux – à moins que ce ne soit l’inverse ? – : Paul, à propos de dire ou ne pas dire à Laurence que son mari la trompe : « Mais enfin, en quoi ça la concerne ? » Et c’est grâce au jeu des acteurs que la pièce ne bascule pas dans l’anecdote : Pierre Arditi est vraiment bon ; Evelyne Bouix, malgré de beaux efforts pour être convaincante, l’est moins (elle n’a pas, non plus, le beau rôle que l’on croit…) ; mais cela ne gâche rien, d’autant que les personnages secondaires (Josiane Stoléru et Jean-Michel Dupuis) sont tout à fait probants.

"Le mensonge". Photo: Emmanuel Murat

« Le mensonge ». Photo: Emmanuel Murat

La pièce se tend vraiment lorsque les deux hommes vont tenter de se parler et de se dire à demi-mot ce qu’ils ne peuvent pas s’avouer. Là est le climax. Le spectateur, dans son fauteuil, se redresse, tend une oreille plus attentive. « Si tu me l’avais dit, à moi ton ami, au lieu de le dire à ta femme » se plaint Michel ; « On ne doit jamais dire la vérité à sa femme, pas à sa femme ! » Pas si simple. Le tour de passe-passe de Zeller est de nous dire que l’on ne peut se confier à personne, justement. Et de retourner la situation encore et encore. N’est pas le menteur celui que l’on croit, évidemment.

Florian Zeller – qui est aussi un (bon) auteur de littérature (« La Fascination du pire », prix Interallié 2004) –, est décrit par la critique comme l’un des meilleurs dramaturges français du moment, avec Yasmina Reza. Il est joué sur scène et traduit à l’étranger(ses pièces ont été adaptées en Allemagne et en Espagne notamment). « Le Mensonge » suit de près une autre de ses pièces, « La Vérité » (en 2011), où jouait le même Arditi. En conséquence, il semble assez évident que la pièce a été écrite pour l’acteur. On sent Arditi très à l’aise dans ce double jeu et ce double langage, ou vérité et mensonge se confondent et se tordent à l’infini. « Je te crois pour que tu me croies », finira par dire Paul à Alice, alors qu’aucun des personnages ne semble plus pouvoir démêler le vrai du faux…

La pièce, qui a été créée à Aix-en-Provence l’hiver dernier, a déjà connu un certain succès. La promo (TV, presse magazine…) et le bouche-à-oreille ont fait leur oeuvre et les places s’arrachent à Paris, malgré un prix prohibitif. Vous aimez les marivaudages modernes ou vous avez vu « La Vérité » ? Il est temps de réserver.

Valérie Maillard

« Le Mensonge » au Théâtre Edouard VII, 10 place Édouard VII, Paris 9ème. Une pièce écrite par Florian Zeller et mise en scène par Bernard Murat. Avec Pierre Arditi, Evelyne Bouix, Josiane Stoléru et Jean-Michel Dupuis.

 

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