J’ai eu le privilège de rencontrer Jean-Marie Drot au mois de janvier cette année. Il m’avait convié à déjeuner chez lui grâce à l’entregent de Isabel Violante, universitaire et collaboratrice des Soirées de Paris. Il est décédé le 23 septembre. C’est un personnage que la France perd, notamment auteur d’un célèbre livre et d’un maxi-documentaire de 14 fois 52 minutes, « Les heures chaudes de Montparnasse ». Il a également été directeur de la Villa Médicis à Rome dans les années quatre-vingt.
Durant tout un repas arrosé au champagne, il avait laissé filtrer son impressionnante culture et une acuité intellectuelle qui compensait largement son impotence physique. Très sérieux mais capable d’être tout à fait drôle, il nous avait livré à propos de l’un de ses successeurs à la Villa Médicis : « vous vous rendez compte, il a réussi à déclencher la première grève du personnel depuis Louis XIV ! ».
Ce normalien sans baccalauréat, avait en mars 1963, réalisé une interview de Jean Cocteau (l’année de sa disparition) où il était question de Guillaume Apollinaire, l’écrivain et animateur premier des Soirées de Paris. Lorsque Jean-Marie Drot lui demande s’il a connu Apollinaire, Cocteau lui répond en substance que les gens trouvent toujours curieux qu’il ait pu connaître Apollinaire jusqu’à sa mort en 1918 alors que lui Cocteau a aussi connu l’impératrice Eugénie malgré leur (grande) différence d’âge. (Voir la vidéo)
Je m’exprimerai peut-être ainsi à propos de Jean-Marie Drot si l’on m’interroge un jour de l’année de ma mort mais je raconterai surtout ce repas charmant en face de cette présence à la fois granitique, féline, quasi chamaniste, et de son propos général d’une pertinence pondérale.
Il nous avait dit qu’il comptait léguer sa maison de Chatou à la municipalité pour qu’elle en fasse une résidence d’artiste. Par définition une gageure n’est jamais simple, mais rien que le décrochage de chaque œuvre d’art qui occupait chaque mur de son domicile du sol au plafond requerra pour l’inventaire, pas moins d’un conservateur aguerri.
La première personne à m’avoir parlé de cet homme, en 2010, est mon ami Eric Jozsef, journaliste correspondant à Rome, et qui fut l’un de ses collaborateurs à la Villa Médicis.
Voir Jean-Marie Drot un jour était depuis un but et même un vœu exaucé cette année grâce à Isabel Violante (merci). Je me doutais un peu qu’il était temps de faire vite mais pas à ce point. Ce genre de nouvelles nous prend toujours de court.
PHB
Très juste et émouvant cher Philippe. Vous l’adjectivez parfaitement – félin, granitique, chamanisme. Merci à vous de ce souvenir partagé.
J ai connu Jean-Marie Drot, dans les années 60, par le biais du poste en noir et blanc. J avais treize ans peut-être, c’était l’époque où la télévision n’était pas un moyen de se distraire avec du vide, mais, au contraire, allait vers le téléspectateur les mains ouvertes et pleines de soleil. Jean-Marie Drot, avec « Les Heures Chaudes de Montparnasse », est entré rayonnant dans ma vie pour ne plus la quitter. A travers lui, j ai compris la signification du mot Art et surtout ce que l Art pouvait apporter à celui qui sait regarder, ressentir, ouvrir son âme à l émotion…Il faut du temps pour apprendre à regarder un tableau, une sculpture; ce n est pas seulement un exercice des yeux, mais une expression de tout son être, de toute sa passion. Jean-Marie Drot aura été plus qu un initiateur, plus qu un guide dans ma vie et dans celle de ceux qui l ont aimé; il restera un passeur merveilleux, un « Vagabond des Etoiles « , un homme simple dans sa générosité , un berger de la Noël qui nous ouvre les portes des Grandeurs et de la Beauté.
Gérard Mesnil.