« 2084, la fin du monde », l’ouvrage que Boualem Sansal publie chez Gallimard s’affiche d’emblée comme un roman-fiction – appellation littéraire contrôlée pour ne point embabouiner le lecteur. Donc rien à voir avec la réalité du jour, c’est écrit dessus comme pour la célèbre marque de fromage pasteurisé.
La mise en garde est d’importance par les temps qui courent. Pas question de donner du grain à moudre à tous les pétrisseurs d’angoisse populaire prompts à effaroucher une clientèle souvent acquise à leur cause.
Houellebecq ne s’y est pas trompé qui soulignait un brin admiratif dans une émission télévisée tardive l’audace de son conteur de confrère pour pointer les dangers du fanatisme religieux. Car pour éreinter obéissance aveugle et intolérance, rien ne vaut le tapis volant de l’imaginaire. Il est plus efficace qu’une extrapolation de sondages pour frapper les esprits. A cet égard, la fable « 2084 » ravale à mes yeux le roman « Soumission » au rang de dinar (roupie) de sansonnet. Il est vrai que seul un ressortissant de pays en lutte contre l’islam jusqu’auboutiste pouvait s’autoriser une telle métaphore.
L’allégorique, là réside l’art du romancier algérien francophone. Pour réveiller les consciences, il se réclame d’Orwell et de sa célèbre fable d’anticipation « 1984 » mettant Big Brother en scène pour décrire un futur inquiétant. Cent ans après pile-poil (la date choisie ne doit rien au hasard), Boualem Sansal imagine l’avènement d’une dictature islamiste mondiale. Il nous transporte en un pays inventé et un futur pas trop proches pour qu’on s’en amuse encore avant la fin du monde annoncée. L’échéance est d’un précis aussi ridicule qu’une fumeuse prophétie de Nostradamus. Donc pas de quoi nous empêcher de dormir, ni nous inciter à quitter l’Hexagone.
Les péripéties que vit le héros, Ati, ont pour toile de fond l’entrave aux libertés de culte et de pensée, les notions de châtiment et de frontières, tant spatiales que temporelles et même mémorielles. Le ton est folâtre, le récit blagueur, les événements burlesques. L’auteur gagne son pari de nous amuser. Mais enjoué n’est pas inconsistant. Il a dans sa ligne de mire l’absurdité du fanatisme religieux. Et sa plume érudite ne manque pas sa cible. L’angle de tir est large, sa fable – à y bien réfléchir – n’épargne aucune religion, aucun sectarisme. Les voici dénoncés à travers ces « scansions répétées à l’infini qui s’incrustent dans les chromosomes dont elles modifient le programme« . Sansal n’éreinte que le fanatisme religieux, pas la foi du croyant, du domaine de l’intime. En cela le romancier algérien s’inscrit dans les pas de l’écrivain juif Elie Wiesel.
La langue tient une grande importance dans le récit burlesque de l’auteur du « Serment des barbares ». Nostradamus, dit-on, était polyglotte… Les mots changent selon l’oppresseur comme les symboles religieux au fronton des édifices. Mais gardent leurs résonances religieuses d’origine. Elles soulignent , mieux que le prêche la plus œcuménique, l’absurdité des affrontements que se livrent les descendants d’Abraham, l’ancêtre commun prônant la religion de l’amour…
Avec sa fable qu’on dit « Goncourable », Boualem Sansal, en fils inspiré d’Esope, donne une leçon de prudence et nous fait bien rire. Le récit de la naissance du burni vaut à lui seul son pesant de breloques et de pompons. Désopilante aussi cette idée d’un monopole planétaire des pompes funèbres détenu par un certain Dol. C’est ainsi que les juristes nomment le délit d’utilisation de manœuvres frauduleuses (dolosives) pour arracher un consentement ! Le rêve enfin a sa part dans le délire abracadabrantesque avec le personnage de Toz, sympathique magicien dont la lampe a le génie de ranimer le passé.
Fourmillant de clins d’œil lancés tous azimuts par un malicieux derviche tourneur, l’ouvrage s’étire un peu en longueur vers la fin. Le message de cet « Islamistophobiste » , en lutte contre toutes formes d’autoritarisme, a depuis longtemps été perçu. Soumission, Obéissance et Subordination, SOS c’est la fin du monde !
Guillemette de Fos
« 2084, la fin du monde », Boualem Sansal, Gallimard
A conteur inspiré il fallait une critique douée, c’est le cas ! Bravo et merci !
Merci Guillemette, tu as vaincu mes réticences à le lire !