Comment s’assurer que les traits de son visage seront portés à la postérité ? A l’heure où la photographie n’avait pas encore été inventée, il n’y avait qu’une voie possible : faire peindre son portrait. Nombre de nobles, courtisans, notables ou bourgeois nantis posaient alors pour un peintre de cour. Au XVIème siècle, l’art du portrait se répandit parmi les élites florentines et dans les cours d’Europe. En réunissant près de 40 œuvres en provenance de musées italiens, anglais, allemands et français, le musée Jacquemart-André fait honneur aux portraitistes de la cour des Médicis dans une exposition qui se prolongera jusqu’en janvier.
Au XVIème siècle, Florence connaît les débuts d’un courant artistique qualifié de « manière moderne », ensuite renommé « maniérisme » par la critique artistique du XIXème siècle. La « manière moderne » est d’abord influencée par la peinture d’un Michel-Ange, d’un Léonard de Vinci ou d’un Raphaël. Elle prend des formes variées selon les artistes, les lieux et les époques. Dans ces peintures, les gestes des personnages sont éloquents, figés dans des postures souvent théâtrales. On observe un allongement des formes et une sorte d’alanguissement dans la posture. Novateur dans la composition, le traitement des sujets et de l’espace et dans la couleur, le courant maniériste va se développer en Italie et se diffuser au delà de ses frontières. A Florence, Pontormo, élève d’Andrea del Sarto poussera sa recherche jusqu’à la déformation anatomique. Bronzino, peintre à la cour, manifeste son goût pour l’allégorie à travers un style puriste au rendu léché – nous parlons là, avec Francesco Salviati, des plus grands peintres florentins maniéristes de cette époque. En France, de son côté, François Ier fera appel à des peintres italiens dont l’influence donnera naissance à l’Ecole de Fontainebleau.
La manière moderne trouve dans l’art du portrait son terrain d’expression. Au début du XVIème siècle, ceux de la période républicaine sont austères, sombres et empreints de gravité. Un « Portrait de Savonarole » (1499-1500), peint par Fra Bartolomeo après la mort du prédicateur sur le bûcher en 1498, introduit la première section de l’exposition. Savonarole est représenté de profil, vêtu de noir, sur un fond sombre. Il s’agit du portrait le plus connu du moine. Dans la même salle, on sent toute l’influence de Léonard dans la sublime représentation de « La Dame au voile », exécutée par Ridolfo del Ghirlandaio entre 1510 et 1515. La rigueur et la sobriété qui s’expriment dans ces deux tableaux, que par ailleurs tout oppose, symbolisent les valeurs morales de ce début de siècle, en lien avec les vertus antiques de la république.
Succèdent à la gravité de ces portraits, les représentations héroïques d’hommes de guerre, symboles des conflits militaires et politiques nombreux dans ce siècle, amenant les Médicis à reprendre définitivement le pouvoir à Florence en 1530. Sur les cimaises, les personnages de Côme 1er ou d’Alexandre de Médicis rivalisent dans leurs tenues guerrières. On connaît bien Alexandre de Médicis en France grâce à Alfred de Musset qui l’a popularisé dans « Lorenzaccio ». Il est ce « duc de la République florentine » assassiné en 1537 par son cousin Lorenzo (Lorenzaccio). Dans le portrait qu’en fait Giorgio Vasari en 1574, Alexandre de Médicis pose en armure, puissant, hautain, écrasant de son séant une allégorie du peuple (trois personnages démembrés) figurée dans les pieds de son tabouret. Jusqu’au moindre détail, tout respire la domination par la force et les armes. Ici, l’art est clairement au service du pouvoir…
« Quand les portraits offrent à la fois ressemblance et beauté, on peut dire que ce sont des œuvres exceptionnelles et que leurs auteurs sont de grands peintres », écrivait en 1568 le même Vasari dans « Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes ». Les portraits qui s’offrent au regard des visiteurs dans les salles suivantes, s’il parlent encore de pouvoir comme ceux d’Eléonore de Tolède et de Marie de Médicis, évoquent aussi la musique, les lettres et le savoir. Ils rappellent, bien entendu, que plusieurs des Médicis comme Côme ou Laurent étaient des mécènes avisés.
A côté des artistes de cour comme Bronzino, Pontormo et Salviati, un peintre sort clairement du lot par sa touche charbonneuse et son « sfumato ». Il s’agit d’Andrea del Sarto. Son « Portrait d’une femme en jaune » (1529-1530) qui appartient à la Royal collection de Londres, est une représentation inachevée d’un personnage au regard énigmatique et inquiétant. Avec la « Jeune femme au recueil de Pétrarque » (vers 1528), Andrea del Sarto réalise un portrait de trois-quarts assez peu conventionnel. La jeune femme au sourire mutin porte dans les cheveux et sur la poitrine quelques brins de violettes, symboles du renouveau et de l’amour secret. Elle indique négligemment du bout d’un doigt le passage bien lisible d’un sonnet de Pétrarque chantant son amour pour Laure.
Nombreuses étaient les références culturelles ou sociétales dans ces portraits de cour. Elles ne pouvaient s’adresser qu’à ceux et celles qui pouvaient les comprendre : des gens de la même condition que le personnage du tableau. Ces références sont aussi, on le devine, un précieux témoignage pour les historiens.
Valérie Maillard
« Florence Portraits à la cour des Médicis », musée Jacquemart-André, 158 boulevard Haussmann, Paris 8ème. Jusqu’au 25 janvier 2016.