Quand les Roms se sont arrêtés à Montreuil-Bellay

Détail d'une archive du camp de Montreuil-Bellay. archives Jacques SigotQui sont-ils ? Des Tsiganes ? Manouches ? Gitans? Bohémiens ? Allez avouez le, bien sûr vous leur gardez toute votre sympathie… Mais pas au point de laisser dormir votre voiture près d’un campement de Gens du voyage.
Qui sont-ils ? Le Gitan est andalou, le Tzigane serait plutôt issu de l’Europe centrale et le Manouche franco-allemand. Compliqué tout cela. Le premier « Congrès mondial tsigane » qui avait réuni à Londres en 1971 des délégués issus de quatorze pays, avait décidé de se reconnaître officiellement sous l’appellation commune de « Rom ».

Présents depuis le XIe siècle, ils forment en Europe, aujourd’hui, la minorité la plus importante avec 10 à 12 millions de personnes. Pas facile à cerner, ce peuple dont certains voyagent, d’autres pas, que certains expulsent d’autres non. Autrefois, ils avaient la réputation d’être des voleurs de poules. Je pense à Aragon dans « L’Etrangère » : « Il existe près des écluses un bas quartier de bohémiens dont la belle jeunesse s’use à démêler le tien du mien ».

Aujourd’hui, leur réputation les précède et leur histoire, la grande, reste à raconter même si les biens pensants, préféreraient qu’elle le soit avec parcimonie. C’est vrai quoi, imaginez qu’à trop se pencher sur leur passé, tous ces Roms ne se découvrent l’envie de se retrouver un jour de mémoire commune, un jour de voleurs de poules qui ferait désordre dans les poulaillers.

J’en étais là à regarder des photos d’un camp dans les années quarante qu’un vieil instit, un anar au rencard, a réveillé, voici pas mal de temps. Une drôle d’histoire pour un camp pas si drôle que ça. Je regarde Jacques Sigot, il me rappelle un autre vieil anar que j’ai connu dans ma jeunesse, un vieux, genre qui te voyait une fois et te filait sitôt la clef de sa baraque à la campagne.

Localisation du camp. Photo: PHB/LSDP

Localisation du camp. Photo: PHB/LSDP

Sur la route de Saumur dans le Maine et Loire direction Niort, une route droite, droite, qui traverse une plaine battue par le vent. Voilà Montreuil-Bellay, son château ses portes fortifiées et son camp de l’oubli.

Quelque part par là, un champ plutôt grand. Ici trois ou quatre marches, qui ne montent nulle part. Là un escalier qui mène vers une cave en sous sol.

Il faut remonter à septembre 1939 quand il fut décidé de construire une poudrerie sur le terrain d’une ferme qui avait brûlé une paire d’années auparavant. La France était en guerre, enfin presque. Des réfugiés espagnols furent réquisitionnés. Pour eux le marché était simple : soit la truelle, soit le retour vers l’Espagne et à la mort certaine. Une autre histoire de migrants, comme on dirait aujourd’hui. Le chantier était à peine terminé quand les Allemands entrèrent dans Montreuil-Bellay, le 21 juin 1940. Les Espagnols et les autres ouvriers avaient fuit vers le Sud, deux jours plus tôt. Une clôture de barbelés fut posée vite fait… ainsi naquit le camp de concentration de Montreuil-Bellay.

Jusqu’au début 41, le camp gardait des prisonniers de guerre, principalement britanniques. Avec l’échec de la bataille d’Angleterre, l’armée nazi se reconfigura et quitta Montreuil-Bellay avec armes bagages et prisonniers. On ne revit plus les Allemands.

Là je cède la parole à Jacques Sigot : « Ce furent les autorités françaises qui décidèrent de rassembler à Montreuil tous « individus sans domicile fixe, nomades et forains », « ayant le type romani », pour reprendre les écrits du préfet du Finistère : Manouches, Gitans, Roms, Sintés ou Yéniches, français et étrangers.

Ces Tsiganes, par familles entières, venaient d’une multitude de petits camps ouverts suite au décret de loi du 6 avril 1940 signé par Albert Lebrun, dernier président de la IIIème République, décret qui stipulait que ces nomades devaient être rassemblés dans des lieux déterminés sous surveillance de la police. Vichy, avec la bénédiction de l’Occupant, se contentait d’appliquer le décret qu’il rappelait à chaque internement. » Pas terrible quand on sait que le dernier Parlement avait été élu porteur des espoirs du Front Populaire.

Ce 8 novembre 1941, ils étaient 250, l’effectif maximum fut atteint en août 1942 avec 1096 internés. « Le camp comportait deux parties distinctes : des baraques en planches sur pilotis pour le logement des internés ; des bâtiments en maçonnerie pour les cuisines, le réfectoire, les écoles, la chapelle, etc. Il y faisait très chaud l’été et très froid l’hiver, l’ensemble étant construit sur une plaine exposée dénuée de toute végétation. Seules les écoles et la chapelle étaient régulièrement chauffées. Il y avait même une prison souterraine : la cave de la ferme. » Jusqu’en janvier 1943, les nomades furent gardés exclusivement par des gendarmes français, puis ensuite les gendarmes furent secondés par des jeunes gens de la région qui échappaient ainsi au STO.

Le camp de Montreuil-Bellay. Archives: Jacques Sigot

Le camp de Montreuil-Bellay. Archives: Jacques Sigot

En juin et juillet 1944, le camp fut bombardé par les alliés. Les plus faibles, principalement les personnes âgées et, les nouveau-nés furent emportés par les difficiles conditions de vie à l’intérieur du camp aggravées par une nourriture toujours insuffisante.

Ce furent les clochards raflés dans les rues de Nantes qui payèrent le plus fort tribu. Ils étaient arrivés à Montreuil-Bellay le 3 août 1942. Souvent âgés, célibataires, en mauvaise santé, ils moururent quasiment tous pendant l’hiver 42-43. En septembre, Jean Renard, sous-directeur du camp, fut arrêté par les Allemands. Il était aussi chef de la section montreuillaise du réseau de Résistance Buckmaster. Un camion du camp avait servi à récupérer des armes parachutées par les Anglais mi-juillet. Un quinzaine de personnes furent aussi arrêtées.

Libéré en septembre 44 par les alliés, le camp fut quelque temps camp de prisonniers pour soldats allemands. Puis ce fut le tour des collaborateurs locaux qu’un tribunal populaire condamna à mort, sauvés de justesse par l’intervention d’un instituteur du bourg. Les Tsiganes? Toujours là. Ils avaient été déplacés. Le 1er octobre, ils réintégrèrent les baraquements du camp principal. Si, pour les Angevins, la Libération était intervenue fin août 1944, il n’en fut donc pas de même pour eux qui ne quittèrent Montreuil que le 16 janvier 1945, expédiés pour la plupart dans d’autres camps sans autre forme de procès. Certains y restèrent jusqu’en juin… 1946 !

Quelque 3 à 4.000 Tsiganes ont séjourné ou transité par le camp de Montreuil-Bellay considéré comme ayant été le plus important de France pour cette population nomade.

Confinés dans des baraques en bois, les nomades n’avaient aucune activité. Certains ont été libérés portant les mêmes vêtements que ceux avec lesquels ils étaient entrés, des femmes se sont même confectionnées des robes à partir de matelas.

Peut-être est-ce là le pire de l’histoire de ce camp, les survivants furent lâchés dans la nature sans aide ni nourriture. Sans leurs chevaux et roulottes non plus qui leur avaient été confisqués à leur entrée dans le camp.

Le 22 octobre 1946, toutes les installations, sauf la prison, et un bâtiment en dur, furent vendues aux enchères par les Domaines et démontées. Restèrent sur place les ruines insolites des marches et des fondations en maçonnerie, les colonnes du poste de garde devant l’ancienne entrée principale du camp, et le bâtiment où avait logé le personnel, en dehors de l’enceinte du camp proprement dit.

Les gens du voyage sont repartis sur les routes. Parfois ils s’arrêtent dans un champ et la gendarmerie vient les en déloger. On semble les découvrir à nouveau mais c’est pour les expulser de bidonvilles insalubres. On parle de les reloger mais la vague d’immigration, le tsunami venu du Moyen-Orient mais aussi d’Afrique prédit par le premier candidat écologiste à la présidentielle René Dumont, nous arrive dans toute sa violence.

D’autres images se bousculent. Dans les années soixante, tout môme je me rappelle d’un fait divers rapporté dans le journal local. C’était l’époque où les Gens du voyage se déplaçaient en roulotte tirée par un cheval. Un enfant se tord de douleurs, il faut l’emmener à l’hôpital. Mais aucune voiture ne s’arrête. Les Roms vont alors s’allonger en travers de la route pour forcer une auto de s’arrêter. Dans ma mémoire de môme le gamin fut transporté à l’hôpital.

Une histoire de migrants, parmi d’autre…

Bruno Sillard

Je remercie Jacques Sigot qui m’a autorisé à puiser dans ses archives, dont voici les liens.

http://camp-montreuil-bellay.eklablog.com/historique-du-camp-1940-1946-c500396
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/07/23/01016-20130723ARTFIG00406-dans-le-maine-et-loire-le-camp-tsigane-oublie-de-montreuil-bellay.php

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5 réponses à Quand les Roms se sont arrêtés à Montreuil-Bellay

  1. Zucconi Réjane dit :

    Sombre histoire d’une époque que l’on pourrait penser révolue, mais qui, sous d’autres aspects, perdure autant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nous-mêmes.. Ne sont-ils pas l’archétype d’une nature profonde libre et sauvage que nous nous efforçons de refouler dans notre quotidien ? Témoins vivants où les valeurs comme la musique, la danse, la joie partagée nous relie et nous élève, ils nous bousculent c’est certains, c’est pourquoi ils sont là, éveilleurs d’âme qui attendent de s’exprimer aussi librement que ces camps où ils furent enfermés……Un peu tzigane, un peu manouche, n’en déplaise, nous sommes aussi un peu de ces migrants que tout sépare à l’extérieur, alors coupons ces barbelés, franchissons les miradors du paraître et allons là « Où, dès le matin par nos grand’ routes coutumières, qui traversent champs et vergers, nous partirons clairs et légers, le corps enveloppé de vent et de lumière………
    Bien à vous !

  2. Ping : Histoire de migrants et autres histoires | Les Soirées de Paris

  3. Jacques Sigot dit :

    Bonjour Monsieur Bruno,
    Je viens de découvrir et de lire votre riche prose sur le phylloxera et le Layon.
    Je prépare actuellement une brochure sur le layon – la rivière, et non pas le vin – et j’aimerais y inclure de grands extraits de votre article, en en citant bien naturellement l’auteur. Est-ce possible ?
    Je vous confie que je peine – depuis deux ans – à rédiger ce travail, peu ayant été écrit sur cette pauvre rivière bien polluée ; et son ancienne navigation a été ravagée par les Guerres de Vendée.
    Bien cordialement.
    Jacques de Montreuil-Bellay
    Jacques

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