Dans la scène avec Jack Warner, le photographe Dennis Stock est absent. Le patron de la Warner s’adresse au débutant James Dean sur le ton et avec l’attitude archi-revisitée d’un mafieux : « si tu ne suis pas les règles, je te casserai ». Nous sommes au milieu des années cinquante. L’acteur américain qui vient de terminer « A l’est d’Eden », n’a pas encore été retenu pour la fureur de vivre. Mais « Life », le film de Anton Corbijn, s’intéresse en premier lieu à Dennis Stock, le photographe, qui lui, veut des photos pour le magazine… « Life ».
Si l’on veut bien passer sur quelques longueurs qui permettent de constater une légère instabilité de la caméra ou de mesurer le soin porté aux arrières-plans, « Life » réussit le pari de nous intéresser au duo éphémère d’un acteur et d’un photographe, en passe d’être connus. Anton Corbijn, dilate à l’extrême une séquence que l’histoire n’aurait peut-être pas si bien retenue, à l’aide du personnage de Dennis Stock qui tient le rôle-clé. D’ailleurs le film commence avec l’ambiance rouge caractéristique d’une pièce de développement des pellicules photographiques.
Lui est un photographe américain des années cinquante, reconnaissable à son veston, sac, cravate et l’appareil muni d’un flash dont la large coupelle évoque la forme d’un radar. Dennis Stock travaille pour l’agence Magnum qui fournit le prestigieux magazine « Life » dont au passage, Internet aura eu la peau. Son idée est d’approcher James Dean pour construire une histoire photographique révélant les origines rurales de l’acteur et sa fragilité.
Il y a donc ce fameux jour de pluie autour de Times Square à New York. Dennis Stock demande au jeune comédien de remonter le trottoir, clope au bec et le col de son manteau relevé. C’est l’un des plus célèbres clichés de la future star que « Life » ne passera qu’en page intérieure.
Le film vaut cependant par le relationnel que tisse le réalisateur entre les deux hommes. James Dean semble constamment au bord de l’assoupissement et parle très bas. Dennis Stock ne cache pas son anxiété de réaliser un reportage dont il pressent l’importance pour la suite de sa carrière. Le rapport de force est légèrement inégal au profit de James Dean qui ne néglige pas, sans le montrer, son intérêt pour une parution dans « Life », alors que la décision sur sa participation à « La fureur de vivre », le film de Nicholas Ray, se fait toujours attendre.
Le film est lent, presque théâtral, mais une tension suffisante nous porte jusqu’au bout avec dans les intervalles, des temps quasi-documentaires sur les années cinquante, entre les milieux du cinéma de Los Angeles et New York, en passant par l’ambiance rurale d’une ferme de l’Indiana où vit la famille de James Dean.
Cet élargissement poussé d’une petite tranche de vie partagée par deux hommes en devenir, ne donne que plus de contraste et de signification au moment où les deux hommes vont se rencontrer et se séparer. Sur la fin, James Dean passe chercher le photographe pour une sorte de virée s’annonçant joyeuse, mais le deuxième décline, ils ne se reverront probablement pas. L’acteur a décroché le rôle de son avant-dernier film. Il tournera encore dans « Géant » et se tuera au volant de sa Porsche à 24 ans. Plus âgé de trois ans, le photographe vivra jusqu’en 2010.
« Life » fait partie de ces films qui se poursuivent au générique avec, dans le cas qui nous occupe, les « vraies » photos de Dennis Stock. Dont celle de Times Square qui associe les deux hommes dans l’éternité.
PHB