L’été n’est pas terminé et cela tombe bien pour ce livre que l’on peut abandonner sur le transat le temps d’aller se baigner et même le finir plus tard au bureau avec des grains de sable qui tomberont joliment sur le tapis de souris. Vu qu’il s’agit de nouvelles il est idéal pour une lecture intermittente. Son auteur est l’américaine Eve Babitz, enfin traduite en français par les éditions Gallmeister.
Elle a accédé à la notoriété en 1963 en posant nue face à Marcel Duchamp autour d’une table d’échecs. Son livre raconte avec talent ses péripéties parfaitement facultatives dans le Los Angeles des années soixante dix. En s’adressant à ses lecteurs, elle en profite pour tenter de contacter un des hommes qu’elle aime. Le préambule de sa première nouvelle est « Mon chéri, je sais que l’art du roman ne t’intéresse pas mais peut-être apprécieras-tu le passage sur Forest Lawn ».
Les textes de Eve Babitz pourraient être insipides sous la plume d’un (e) autre, mais son humour, additionné de la lucidité décavée de quelqu’un qui boit et absorbe toutes sortes de drogues, leur donne un éclairage singulier et attachant, que le sujet soit un parking ou une soirée chez des gens qui n’ont rien à dire.
Née en 1943, celle qui se dit blonde avec du « monde au balcon » utilise différents préceptes personnels pour faire en sorte que la vie fonctionne. De la même façon écrit-elle qu’il suffit de laver sa voiture pour qu’il pleuve, si l’on veut faire venir un amoureux, on aura soin de préparer en pyjama une saucisse à l’ail. Pour que le destin s’en mêle il faut « montrer à Dieu que vous envisagez sérieusement de rester chez vous et d’être vertueux ». Et alors qu’elle était en train de préparer des œufs brouillés en vue de les avaler devant une rediffusion de Saratoga Trunk, Dieu fit justement en sorte qu’on l’appelât pour aller voir, en bonne compagnie, un match de baseball opposant les Dodgers aux Giants.
Sur le livre de cette désenchantée toujours en forme malgré tout ce qu’elle avale, le New York Times a dit qu’il s’agissait d’un ouvrage « sensuel, raffiné, spirituel » doté d’un « phrasé au charme lumineux digne de Fitzgerald ». Et ce n’est pas faux en dépit d’une traduction qui s’emmêle parfois les pinceaux entre le passé simple et l’imparfait. Rien de trop gênant cependant.
Un jour qu’elle se trouve dans une soirée ennuyeuse au milieu de gens ennuyeux à Emerald Bay, elle tente de donner une consistance à une certaine Beth. Ce passage est révélateur de sa façon de voir crûment les choses et d’appréhender cyniquement la vie quoique celui-ci soit singulièrement amer : « quand Beth apparut dans le salon et que j’étais d’une humeur inspirée par Shawn, je décidai de mémoriser son visage afin de le reconnaître la prochaine fois que je la verrais. Mais plus j’essayais de trouver sur quoi me fixer, plus elle devenait floue ». Juste un peu plus tard, elle apprendra que Beth s’est suicidée au Seconal. Eve Babitz ajoute à son propos qu’elle aurait été « incapable de vivre la vie qu’elle vivait, toute d’isolation et de vide et de propreté ». Constat saignant d’un auteur qui avait de son côté trouvé la méthode pour survivre jusqu’à nos jours sans mégoter sur les risques qu’elle prenait.
Le journaliste expert de Los Angeles Philippe Garnier, (qui a fait découvrir Charles Bukowski aux Français) a raconté dans Les Inrockuptibles qu’il avait essayé de venir la voir en auto-stop dans les années soixante dix. Apprenant son moyen de transport, elle lui avait répondu « ne viens pas à Los Angeles sans voiture ni argent, cela ne se fait pas ».
Pour le coup ce petit livre de poche ne vaut que onze euros et vous ballade dans un univers révolu, tout à la fois triste, cocasse et déjanté, avec une drôle écriture qui vous raccroche bizarrement à chaque fois que vous croyez perdre pied.
PHB
Eve Babitz. Jours tranquilles, brèves rencontes. Editions Gallmeister.