Avignon, version française, enfin presque

Affiche du 69e festival d'Avignon. Photo: PHB/LSDPJe n’irai pas à Avignon cette année, dommage, enfin c’est comme ça. Souvent dans la chaleur du début d’après midi, je me réfugie seul, dans le verger d’ « Urbain V » juste derrière le Palais de Papes. J’écoute deux musiciens, l’un des deux joue de l’accordéon, l’autre de la clarinette. Ils échangent des phrases musicales, je pense à « Delivrance » de John Boorman. Ils jouent le blues d’Avignon. Enfin je n’en sais rien.

Cette cour sableuse est cernée par de hauts murs où la musique se reflète. Tiens les musiciens ont repris pour les inverser l’ordre de leur musique. Tout est paisible. Une femme, avec ses deux fillettes est venue s’asseoir près de moi. La plus petite me regarde fixement, son sandwich s’entrouvre et tire la langue. J’alerte la mère, le sandwich et la robe à fleurs sont sauvés.

Nous échangeons des mots, puis d’autres, nous nous reverrons.

J’ai découvert pour la première fois la Cour du Palais des Papes avec « en attendant Godot » de Samuel Beckett avec Michel Bouquet, Georges Wilson, Rufus… Je découvre qu’il y avait aussi dans le rôle de l’enfant, Fabrice Lucchini. Ce devait être 1978.

L’année suivante, Lorenzaccio avec Philippe Caubère nous fait rêver du TNP de Jean Vilar. En 1981, Daniel Mesguish provoque le Roi Lear de Shakespeare, le public siffle. Cette année Olivier Py a monté à son tour au Palais des Papes, le roi Lear. Le public a de nouveau sifflé. Shakespeare est-il si intraduisible pour que toute pièce écrite par le maître anglais, ne peut être jouée que traduite pour l’occasion. Ce qui nous donne un dialogue choc entre le metteur en scène et une journaliste de France Inter genre « Olivier Py vous traduisez le mot «nothing» par «rien», le metteur en scène la coupe rigolard, je ne connais qu’un mot pour traduire «nothing».

Cela dit, Shakespeare qui alterne jeux de mots parfois salaces, émotion, colère, folie, est un terrain de jeu pour les théâtreux. L’alexandrin à la sauce menthe est rapide, il se dit comme une claque, l’alexandrin au beurre blanc, est plus poétique, cérémonieux. Au XIXème les pièces étaient souvent lues, l’alexandrin blanc (sans rime) s’est imposé. La violence lui sied mieux. Il reste les pièges. Sur France Inter on citait, un exemple dans le Roi Lear, il tombe bien, la radio me le propose tout chand alors que je me demandais dans qu’elle galère je m’était embarqué: « Il souffle encore un vent glacé dans un buisson de roses » et une question faut-il traduire buisson alors que dans l’argot populaire on peut lire touffe (dans son acceptation sexuelle.)

Je suis tombé par hasard sur une étude universitaire,de Marie Nadia Karsky, «Traduire la violence de King Lear».

Tout y est dans le roi Lear violence physique et verbale. L’hypocrisie et la soif de pouvoir des personnages, les pousse au meurtre et à la délation. Cette violence trouve une expression scénique lors de l’énucléation de Gloucester ou des combats et affrontements entre les personnages. S’ajoutent à cela la violence de la nature déchaînée, à l’instar des passions humaines, celle de la folie qui gagne le roi, et surtout, celle du texte de Shakespeare, tant dans ses métaphores que dans les secousses créées par son rythme et sa syntaxe. Avignon, c’est aussi cela, une envie de savoir qui vous tient.

Le Roi Lear présenté à Avignon a été diffusé mercredi 8 juillet sur France 2, s’est fait voler la vedette par le Richard III tout aussi shakespearien, mise en scène par Thomas Ostermeier, pièce en allemand sous titré. J’avais vu en 2008 son Hamlet, là j’avoue, le bandeau texte en français à je ne sais combien de mètres de haut, et, en bas une mise en scène disons spéciale, c’est un peu trop pour moi. Quant à cuisiner l’alexandrin à la menthe, façon hareng Bismarck et arrosé beurre blanc, je fuis et vais pour me reposer voir « Novecento » d’Alessandro Baricco, joué immanquablement dans le Off, et toujours plaisant.

Le metteur en scène d’Hamlet, Thomas Ostermeier, commentant son travail disait : « cela pose la question essentielle de comment jouer la folie ? Comment réagir à la question du jeu puisque tous les personnages sont masqués, puisque tout le monde joue à un moment ou à un autre un rôle. Où est la vérité ? A-t-elle disparue définitivement ? » Voir le lien vidéo, vous comprendrez, enfin quand je dis, vous comprendrez, c’est façon de parler.

Et puis parfois, un chef-d’œuvre porté par la rumeur au détour d’une ruelle, un roman «Confidences à Allah» de Saphia Azzeddine que Gérard Gélas adapté pour la scène en 2008. La misère sexuelle et la misère tout court en pays musulman ou ailleurs, c’est cru, violent et sale. Jbara, une jeune bergère de l’Atlas marocain, maltraitée et violée… J’attendais déçu, c’était complet. Une autre personne attendait quelqu’un, il fallait rentrer, elle me colle dans les mains son billet sans spectateur. Cadeau me dit-elle, nous nous engouffrons dans la salle déjà noire.

Il est 22 heures30 ; le Mistral se met de la partie, les comédiens avalent la scène à grand pas. Ils hurlent leur texte, leurs costumes se battent contre le vent.

Eviter la place de l’Horloge et se retrouver derrière le verger, un resto, à la multitude tranquille. On cause littérature… Il arrive que l’auteur soit satisfait. Goethe qui s’adressait à Gérard de Nerval qui avait traduit Faust, lui offrit le meilleur compliment jamais adressé par un écrivain à son traducteur. : «Je ne me suis jamais si bien compris qu’en vous lisant

Il y a un côté Faust dans Avignon, l’Enfer, rue des Teinturiers quand on vient d’arriver, et qu’il faut déjà se laisser porter sur les rumeurs naissantes. Le pacte aussi que l’on signe et qui fait qu’à la fin de l’hiver une irrésistible envie d’y poser ses pas vous pousse vers la cité des Papes.

Bruno Sillard

«Traduire la violence de King Lear»

Hamlet

Photo de l'affiche du 69e festival d'Avignon. Photo: PHB/LSDP

Photo de l’affiche du 69e festival d’Avignon. Photo: PHB/LSDP

 

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2 réponses à Avignon, version française, enfin presque

  1. Flourez BM dit :

    Et cela montre aussi à quel point la traduction, théâtrale certes mais aussi en général, est sans doute enjeu de langue et enjeu littéraire, mais également un enjeu idéologique ou du moins d’intention. Servir un texte ou se servir d’un texte…
    http://www.fabula.org/atelier.php?Du_concret_avant_toute_chose
    Entre l’auteur et l’exploitation de l’auteur, le débat n’est pas clos.

    • Bruno Sillard dit :

      Merci pour votre texte dans Fabula qui mérite que l’on prenne du temps pour le lire.

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