Elle fut une femme intrépide, militante, aventurière, pionnière et avant tout, un esprit libre. Jusqu’au 27 septembre, le Jeu de Paume rend hommage à la photographe Germaine Krull. Une exposition à ne pas manquer. Les 130 tirages d’époque et nombreuses publications présentés sont une occasion rare de voir ou revoir une œuvre avant-gardiste unique. Ils sont aussi une opportunité de découvrir une personnalité et une vie exceptionnelles qui fascinent autant que l’œuvre.
Artiste célèbre, Germaine Krull a été très peu exposée notamment en raison de la dispersion de ses clichés au cours d’un parcours professionnel et spatial qui n’a rien de monolithique. Sa carrière chaotique, à l’image de sa vie, connait son apogée en Europe de 1920 à 1940. Mais très vite, celle qui fut à l’origine du reportage moderne part s’établir en Asie du Sud Est pour devenir gérante de l’hôtel Oriental de Bangkok en 1946. Elle ne quittera l’Asie qu’en 1983 et retournera en Allemagne.
Germaine Krull, née en Pologne en 1897 de parents allemands, s’installe avec sa famille à Munich en 1912. Après avoir étudié la photographie, elle y ouvre un studio. Elle fréquente les milieux d’avant-garde et les agitateurs bolchéviques. Cela lui vaudra d’être arrêtée, emprisonnée puis expulsée de Bavière. Après un séjour en Union Soviétique, elle s’établit à Berlin en 1922 où elle ouvre également un studio. Elle compose à cette époque des nus féminins très modernes et libres dont l’érotisme n’est pas absent comme le montrent ceux exposés au Jeu de Paume. En 1926, elle rejoint Paris où elle travaille comme photographe de mode essentiellement pour l’atelier de Sonia Delaunay.
La publication de son portfolio Métal fait grand bruit en 1928 et révèle sa vision avant-gardiste. D’un point de vue artistique et technique, ses photos sont en rupture totale avec les images traditionnelles. Prises en contre-plongée ou sous des angles inédits, elles mettent en valeur des machines (grues et mécanismes) et des sujets industriels (ponts, tour Eiffel) dans des séquences qui se rapprochent du montage de film. L’histoire dit que c’est en découvrant l’activité du port de Rotterdam – où elle avait suivi en 1925 un jeune cinéaste hollandais dont elle s’était éprise – que son intérêt pour le métal lui serait venu. Le métal est pour Germaine Krull une métaphore du monde moderne, un monde en perpétuel mouvement, comme sa vie. Toujours est-il que Métal la fait connaître des milieux modernistes de la photographie et des magazines artistiques. Une collaboration lui est alors proposée pour participer avec André Kertész et Eli Lotar au lancement du magazine photo VU.
Elle collaborera à d’autres magazines artistiques et s’affirmera comme une pionnière du photoreportage. Loin des revendications esthétiques, pour Germaine Krull, « le vrai photographe, c’est le témoin de tous les jours, c’est le reporter ». Et reporter elle sera. Fêtes foraines, manouches, marché aux oiseaux, clochards, ouvrières, sectes religieuses…sa curiosité est insatiable pour saisir le monde en mouvement, souvent au travers des petites gens. Pourtant l’homme est rarement l’élément central du cadrage. Il est inscrit dans son environnement, son quotidien avec lequel il se fond pour relever les détails secrets que les passants ne voient pas ou ne voient plus.
On imagine difficilement que l’esprit libre de Germaine Krull ait pu se satisfaire d’une absence de liberté de mouvement. En 1929, elle est On the road. Après avoir réalisé une publicité pour une nouvelle Peugeot, elle négocie son salaire en nature et c’est au volant de sa décapotable Peugeot qu’elle parcourt les routes de France en saisissant ce qu’elle voit. Le périple débouche sur l’édition de deux livres de photos de voyage, une nouveauté : La Route Paris-Biarritz (1931) et La Route de Paris à la Méditerranée (1931). La même année, la pionnière innove à nouveau avec la parution de La folle d’Itteville, le premier roman-photo jamais publié, où ses photos illustrent le roman de Simenon.
Quand vient la guerre, l’engagement de Germaine Krull la pousse à rejoindre les Forces françaises libres à Brazzaville. Elle y crée en 1942 un service de propagande photographique et travaille comme correspondante de guerre en Afrique. Par la suite, elle partira dans le Midi en tant que reporter puis en Alsace où elle fera la connaissance du colonel Berger, commandant de la Brigade Alsace-Lorraine, qui n’est autre qu’André Malraux. Elle participera d’ailleurs à la Bataille d’Alsace dont elle fera un livre en 1945. Elle partira ensuite en Indochine et Asie du Sud-Est en tant que reporter.
En 1946, Germaine Krull change de vie et se fixe à Bangkok, où elle sera gérante de l’hôtel Oriental, pendant 20 ans. Elle photographie alors les temples et les statues bouddhiques de Thaïlande et Birmanie. André Malraux fera d’ailleurs appel à elle en 1967 pour illustrer un livre sur l’art bouddhique. En Asie, elle devient une bouddhiste pratiquante. A 70 ans, elle rejoint une communauté tibétaine en Inde et elle prend la défense de la cause tibétaine. Elle ne revient en Europe qu’en 1983 où elle meurt deux ans plus tard.
Sa curiosité des choses et de la vie, son modernisme, sa liberté, son engagement se reflètent dans ses photos. Cadrages inusuels, expérimentations radicales, Germaine Krull a sans cesse innové pour saisir le monde et le siècle en mouvement. Paradoxalement, l’aventurière que ses pérégrinations ont entraînée aux quatre coins de la terre, n’hésitait pas à affirmer : « Chaque angle de vue multiplie le monde. »
Lottie Brickert
Germaine Krull, Un destin de photographe, exposition du 2 juin au 27 septembre 2015 – Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75007 Paris. Mardi de 11h à 21h, du mercredi au dimanche de 11h à 19h, fermé le lundi.
Merci pour cette bouffée de fraîcheur. S.