Heurs et malheurs de l’orthographe

Sur un cahier. Année scolaire 1896/1897. Photo: LSDPI.- Les dictées de nos pères. « D’ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu’on entendait jusque dans la rue, les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu’on répétait très haut tous ensemble en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables : « Un peu de silence ! ».

Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais, justement, ce jour-là, tout était tranquille, comme un matin de dimanche. (…) M. Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement : – Va vite à ta place, mon petit Franz ; nous allions commencer sans toi. (…) ». Un extrait des « Contes du lundi » d’Alphonse Daudet, « La dernière classe », la dernière avant l’annexion de l’Alsace en 1871. Un texte qui m’évoque le doux moment des dictées de mon enfance avec son phrasé particulier, s’appuyant sur le féminin de tel mot ou marquant la lettre double.

La mémoire est quand même curieuse. Elle n’en fait qu’à sa tête, même si d’ailleurs la tête n’est pas la sienne mais la mienne. Je fais partie d’une génération où l’école commençait par la onzième, mes premières leçons de calcul me laissaient prendre conscience du décompte sans fin de mes classes vers la première et pire encore vers le zéro que l’on nommait terminale et qui me projetait dans un vertige dont j’ai craint un moment que je ne m’en sortirais pas.

Le maître portait une blouse grise ainsi qu’une longue règle en bois qu’il nous présenta dés le premier jour, il l’appelait sa « camarade » et elle était chargée du maintien de l’ordre dans la classe, avec comme menace suprême, un coup de règle dans le creux de la paume. Dans ce monde où l’on marchait en rang, il y avait quelques moments délicieux. Ainsi, le lundi, un instant magique, douces minutes volées quand le maître allait de table en table, remplir les encriers avec une grande bouteille d’eau dans laquelle il avait préalablement jeté une pastille. Ma matière préférée s’appelait « Les leçons de choses ». Les sciences naturelles y côtoyaient la géographie. Je garde le souvenir du dessin de la fumée d’une locomotive qui selon qu’elle était noire et lourde ou légère et aérienne, donnait le temps à venir. L’éducation nationale, était encore marquée par le bon sens paysan encore majoritaire en cette fin des années cinquante.

Et puis il y avait la dictée, qui devenait injustement de plus en plus longue au fur et à mesure que je grandissais. Je dois reconnaître que je cultivais l’art de la faute d’orthographe et que j’élevais la faute grammaticale pour les dissimuler toutes deux derrière une écriture de plus en plus illisible. Je dois l’avouer, même si l’exercice m’ennuyait, je me régalais des histoires qui y étaient contées les payant des zéros que les dictées me rapportaient. Ces histoires sont toujours présentes dans mon esprit même si l’absence d’auteur m’empêche d’en retrouver les mots exacts. Je me souviens du pain de la semaine. « Le premier jour, la mie était trop collante. Il fallait attendre le lendemain pour que la miche soit présentable au couteau. En fin de semaine, elle se durcissait mais il n’était pas question de jeter les miettes de pain sec qui s’accumulaient sur la table. » Cette autre aussi : « La semaine passée, nous avons marché longtemps, sous un soleil matinal, dans le bois. Au détour d’une allée déserte, nous nous arrêtâmes, nez à museau, devant une biche toute jeune qui s’arrête au lieu de s’enfuir. »

L’orthographe était la chasse gardée du matriarcat familial. Elle déboulait un matin de vacances. J’entends encore les cris de ma grand-mère qui réagissait au moindre accent vagabond ou au premier verbe « avoir » négligé.

 

Cahier scolaire de Melle Anna Leobardy. Année 1896/1897. Photo: LSDP

Cahier scolaire de Melle Anna Leobardy. Année 1896/1897. Photo: LSDP

Quel était cet auteur à qui la république des instituteurs redonnait vie. « Tout enfant il avait glissé une bille au fond d’un trou dans une porte en bois. En cachette de ses parents, il va faire pousser l’ongle de son index, puis enfin un jour il réussit à extraire la bille, une victoire contrariée par l’indifférence générale face à l’exploit. »

J’ai ouvert ma boîte à souvenirs, au début de cet article, sur « La dernière classe » mais je songe à cet autre magnifique texte sur la chasse, les émotions d’un perdreau rouget toujours extrait des Contes du lundi, découvert alors qu’il passait au filtre du crayon rouge. « Vous savez que les perdreaux vont par bandes (…). Notre compagnie à nous est gaie et nombreuse, établie en plaine sur la lisière d’un grand bois, ayant du butin et de beaux abris de deux côtés. Aussi, depuis que je savais courir bien emplumé, bien nourri, je me trouvais très heureux de vivre. Pourtant quelque chose m’inquiétait un peu, c’était cette fameuse ouverture de la chasse dont nos mères commençaient à parler tout bas entre elles. (…) »

J’allais apprendre à aimer non seulement le mot, la phrase ou l’histoire mais aussi la lettre ou l’accent.

II.- L’art du correcteur

Devenu journaliste, je suis devenu le gardien de l’édition et par là même je devais chasser l’information sauvage se risquant la nuit tombée mais aussi la faute clandestine. Un jour lors de la conférence de rédaction qui réunissait l’ensemble des chefs de service, le directeur de la rédaction prend la parole. Se tournant vers moi, il me rappelle à l’exigence de qualité.

Et le voilà, m’expliquant que certains manquements étaient inadmissibles, précisant toutefois ne pas m’accuser personnellement mais me demandant de transmettre son propos à « vos » correcteurs. Je l’aurais fait bien volontiers si j’avais identifié l’objet du délit. Mais rien, la faute devait-être énorme mais non je ne la voyais pas. Un rédacteur en chef, tente une diversion : « Aujourd’hui nous attendons les chiffres du … » Le directeur le coupe et reprend sa diatribe, « nous avons le devoir  d’être exigeant. » Le papier incriminé est très long, par-dessus l’épaule du patron, je lis et relis le titre, un «  L » de trop ? Non rien. Le sous-titre ? Non plus. Mon patron est reparti de plus belle. Enfin, d’un coup de stylo ravageur, il souligne la faute puis passe enfin au menu du jour. Dans l’avant-dernière colonne d’un article qui en compte cinq, effectivement un accord avec le verbe avoir, un « e » vagabond avait renvoyé aux enfers l’ensemble des articles de l’édition.

Le correcteur de presse devient rare. L’illusion du correcteur orthographique laisse croire qu’il suffit de chasser la faute, l’accord, la coquille, la virgule pour qu’un texte soit parfait. Mais aucun logiciel ne remplacera le travail de la mémoire du texte. Se rappeler de ce qui est dit plus loin ou plus haut, juger un mot à la place d’un autre. Un soir un correcteur vient voir un journaliste pour lui signaler une erreur. J’avoue avoir oublié l’objet du délit, mais le sujet méritait de prendre dix minutes en plein bouclage. De guerre lasse, le correcteur s’en va regarder dans le dictionnaire, l’ultime recours, quand l’assemblée des correcteurs s’en allait déclarer forfait. Le journaliste le suit, le correcteur s’illumine et renvoie son interlocuteur à ses études, le dictionnaire lui donnait raison. Le mot était corrigé dans le dictionnaire au stylo bleu clair, l’arme autrefois du correcteur. Le journaliste s’en alla bougonnant, « s’ils corrigent maintenant le Robert ! » Enfin si vous savez que l’on « rouvre »  lors d’une « réouverture » et que le « cuisseau » de veau, accepte la compagnie de « cuisseau » de gibier même s’il s’avère que le « cuissot » est toujours accepté pour le cerf, le sanglier ou autre animal sauvage point n’est utile de rajouter au verbe s’avérer, vrai, hé bien vous serez un correcteur mon fils, (enfin presque!).

Bruno Sillard

Extrait d'article de presse en perspective. Photo: LSDP

Extrait d’article de presse en perspective. Photo: LSDP

 

Bruno Sillard

 

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6 réponses à Heurs et malheurs de l’orthographe

  1. Valerie Maillard dit :

    Douce promenade dans la langue française. Beau texte fait de ces souvenirs rejaillis. Merci Bruno!

  2. de FOS dit :

    On peut n’être pas amateur de gibier et apprécier ce mitonné littéraire. Les doigts tâchés de graisse d’oie plutôt que d’encre.

  3. Fabienne M. dit :

    La dictée ! que de mauvais souvenirs ! pourtant, que de jolis textes étaient liés à ce moment de douleur !
    Le dictionnaire ! Nos petits enfants l’utiliseront-ils ? Grace au correcteur automatique informatique, ils « cliqueront » pour avoir la bonne orthographe…ou pas !

  4. Steven dit :

    Ce que nous dit l’image si on chausse ses lunettes c’est en quoi la maîtrise du savoir nous affranchit. Avec ce joli texte et cette image cela donne un petit moment pas idiot. Merci. S.

  5. PREVOST dit :

    Ah qu’il est doux et réchauffant de retrouver son enfance, l’odeur des livres, le craquement des parquets dans les salles de classe et la prononciation si particulière des mots féminins du genre : » elle était partiiiiii… eeee quand il s’est retourné »
    Que du bonheur l’orthographe car pas seulement l’orthographe mais aussi l’enfance dans ces classes où nous préparions le certificat d’études primaires

  6. Frédéric MAUREL dit :

    J’ai presque pleuré la fin des dictées (en 5ème ou en 4ème ?) car c’était une bonne note assurée qui partait (entre 16 et 20 à chaque fois, sauf sinistre exception !) alors que le nombre de matières croissant, la difficulté grandissait à rester un bon élève… Et aujourd’hui, les correcteurs étant retraités ou licenciés, lire « le journal » est devenu une corvée car à chaque faute repérée, c’est un coup de poignard sur ma frêle personne et j’observe tristement le retour de Babel dans mon propre pays (virgule ou point virgule ? accent grave ou sérieux ? les articles deviennent insensés !), chacun croyant n’avoir plus besoin que de communiquer (et non de se faire comprendre)…

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