Jean-Pierre Mignard est un homme connu pour la grande diversité de ses talents : avocat tenace, homme de gauche engagé avec constance, ami fidèle jusque dans les soubresauts conjugaux de ses proches, penseur alerte, auteur d’une petite dizaine d’ouvrages sur des thèmes juridiques aussi variés que la sûreté nucléaire, les émeutes de Clichy ou la question prioritaire de constitutionnalité, codirecteur de la revue « Témoignage chrétien »… Et sûrement bien d’autres compétences encore, à l’abri d’une lumière qu’il ne cherche pas forcément (même s’il ne la déteste pas).
Pourtant, à la fin de l’année dernière, il lève le voile sur un pan moins connu de sa vie : sa foi chrétienne la plus intime. Il lui consacre la moitié d’un ouvrage « Gardiens de nos frères », soit 80 pages environ qui s’inscrivent dans l’antithèse formelle d’un « Royaume » qui fit grand bruit lors de la rentrée littéraire. Ici, pas de démonstration savante, pas d’exégèse fastidieuse, et surtout pas d’égocentrisme : le « je » indispensable à l’exercice du témoignage personnel se comprend ici surtout comme un guide pour suivre un itinéraire plus très fréquenté de nos jours.
Autres temps, autres figures : fin des années soixante, début des années soixante-dix, Jean-Pierre Mignard quitte son adolescence nivernaise pour des études parisiennes. Déjà dans la Nièvre, il fréquentait « le tout petit PSU » local. Il rejoint la maison-mère parisienne, à peine ses valises posées. Outre les figures historiques – Mignard est conquis par « la flamme réformatrice » de Michel Rocard – le jeune homme découvre avec une certaine surprise la présence au PSU de militants issus de divers mouvements chrétiens. Et c’est sans doute alors qu’il se forgera la conviction du nécessaire dialogue entre la politique et la religion, entre l’Eglise et la société. Un dialogue qui préserve la laïcité, parole de Jésus à l’appui : « Mon Royaume n’est pas de ce monde ». Un dialogue qui préserve des préjugés : « Je ne crois pas que la société ait toujours raison contre l’Eglise ».
Mignard n’a aucune indulgence vis-à-vis de l’Eglise à laquelle il appartient. Il énumère sans complaisance les « fautes de l’Eglise », parmi lesquelles : la peur des femmes, le refus de l’homosexualité, « l’entre-soi du salut », les dangers du dogme, etc. En bon avocat, il va puiser aux sources des textes pour étayer sa thèse. Mais il évite l’écueil du livre savant. Il sait rester un témoin engagé. Il est le témoin qui voudrait que l’Eglise l’accompagne, avec plus de constance, dans sa foi et dans la bienveillance, en harmonie avec la promesse originelle.
De sa foi chrétienne à son engagement à gauche, il n’y a qu’un pas et ce qu’en écrit Jean-Pierre Mignard laisse un peu le lecteur sur sa faim : cette seconde moitié du livre ne parle en effet que du lien qu’il juge indéfectible, mais pas exclusif, entre la gauche et la justice. C’est moins inattendu et c’est parfois aussi discutable. Jean-Pierre Mignard le reconnaît et d’ailleurs il le discute, avec l’intelligence et l’agilité d’esprit qui caractérisent sa plume. Après avoir reproché ses « fautes » à l’Eglise, il vilipende aussi la gauche qui, à ses yeux, tergiverse avec ses idéaux.
Pourtant, hormis ce parallélisme dans la remise en cause, Jean-Pierre Mignard établit trop rarement les passerelles entre les deux volets de son petit opus. Comment cohabitent dans la tête et le cœur de cet homme, avec qui on engagerait volontiers une longue conversation, foi catholique et convictions socialistes, vie privée et vie publique ?
L’auteur reste discret et oblige à une lecture entre les lignes. Il semble chercher à comprendre pourquoi dans notre monde d’aujourd’hui, les messages de fraternité, de justice et de bienveillance se perdent dans des injonctions sectaires et des débats manichéens. Pour conclure avec Brecht : « de qui dépend que le monde soit invivable ? De nous. De qui dépend que le monde soit hospitalier ? De nous aussi. Car nous sommes les gardiens de nos frères ».
Marie J
« Gardiens de nos frères », Jean-Pierre Mignard, Stock.
www.jpmignard.fr
Très envie de lire ce livre, merci Marie !