Il abrite la collection publique la plus importante au monde, qui est aussi la collection la plus complète sur le peintre espagnol. Après cinq années de travaux, le musée Picasso, hébergé par l’hôtel Salé dans le quartier parisien du Marais, accueille à nouveau des visiteurs depuis le 25 octobre, date anniversaire de la naissance de Picasso. Après cinq ans de fermeture – les travaux ne devaient durer que deux ans –, l’attente était grande. Et les parisiens, tout comme les héritiers du peintre, mécontents.
Cinq années donc, et plus de 40 millions d’euros plus tard, voilà le musée rajeuni, embelli et agrandi. Sa superficie est passée de 2300 à 5000 mètres carrés, répartis sur quatre niveaux. Des bâtiments voisins ont été acquis ou aménagés ; les bureaux, déplacés. Pour la petite histoire, l’hôtel Salé a été construit entre 1656 et 1659 pour Pierre Aubert, seigneur de Fontenay-en-Brie, conseiller et secrétaire du roi. La société parisienne du milieu du XVIIème aimait donner des surnoms aux hôtels particuliers nouvellement bâtis. Lorsque Pierre Aubert construisit le sien, et comme il détenait une charge de bailleur général des gabelles (il percevait à son profit l’impôt sur le sel), le nom qui convenait à son habitation fut vite trouvé : ce serait l’hôtel Salé. L’étonnant est que le nom resta, même s’il porta, plus tard, le nom d’hôtel Camus ou d’hôtel de Juigné.
Picasso a souvent vécu dans de vieilles demeures (la villa Californie, le château de Boisgeloup, celui de Vauvenargues – « Guernica » a été peint dans l’hôtel de la rue des Grands-Augustins) et il se dit qu’il se sentait à l’aise dans de vastes espaces construits et décorés par les générations antérieures. L’hôtel Salé aurait donc pu plaire au peintre de Malaga, qui aurait un jour déclaré à Gertrude Stein : « Je veux une vieille maison. »
Le coût des travaux a été, pour partie, financé par une politique de prêts d’œuvres aux grands musées mondiaux et/ou dans le cadre d’expositions, le temps de la fermeture. Le changement de statut du musée Picasso, en 2010, passé de membre de la Réunion des musées nationaux à celui d’établissement public, a facilité cette politique de prêts. On peut espérer que le rallongement du temps des travaux aura permis de prêter davantage d’œuvres…
Le nouvel accrochage présente 400 œuvres, sur un fonds de près de 5000 que détient le musée. « On pense arriver ici en connaissant tout de Picasso et finalement c’est un autre peintre qui apparaît », estimait son nouveau directeur, Laurent Le Bon, le jour de la réouverture. Et c’est précisément la première réaction que l’on peut avoir quand on a connu le musée avant. Le nouveau lieu est vaste – presque trop –, mais reste à la mesure de l’œuvre de l’occupant des lieux ; les toiles et les sculptures exposées pour le premier accrochage (réalisé par son ancienne directrice révoquée, Anne Baldassari) rarement vues, déduction faite de quelques œuvres incontournables.
Le parcours de visite, quant à lui, n’est ni tout à fait chronologique ni purement thématique, et l’on circule librement d’une salle à l’autre, puis d’un étage à l’autre, sans rupture. Une salle au rez-de-chaussée présente des portraits (et autoportraits du peintre) dont on retiendra l’inquiétante « Célestine » (1904), des études de bustes pour les « Demoiselles d’Avignon » ainsi qu’une sélection ravissante de nus féminins, assis ou debout, exécutés au fusain ou la sanguine. Le tout retraçant le parcours pictural de 1895 à 1931. L’influence qu’eut sur Picasso Cézanne (mort en 1906) et l’aventure cubiste avec Georges Braque, avec qui il formait « comme une cordée de montagne », ont été ramassées dans trois petites salles. Ce qui est bien suffisant pour expliquer aujourd’hui ce qui constitue une part bien identifiée de la totalité de la production du maître.
Pendant la Seconde guerre mondiale, Picasso, surveillé, se retranche chez lui et peint des sujets plus violents. Ceux-ci ont été rapprochés, au deuxième niveau, d’un sujet récurrent dans son œuvre, la tauromachie. A cette époque, et pour exorciser la violence que les guerres font naître en lui, il exécute une série de toiles au centre desquelles la femme est présentée hurlante, tordue dans sa chair et déchirée (« La suppliante » 1937, peinte en pleine guerre d’Espagne)… Ce n’est qu’après la Seconde guerre mondiale que la vie du peintre redevient radieuse. Il rencontre Françoise et a à nouveau des enfants ; puis Jacqueline qui l’accompagnera jusqu’à la fin de sa vie. C’est l’heure des œuvres plus légères et joyeuses.
Le nouveau musée réserve à la collection personnelle de Picasso un dernier étage sous les combles. L’intimité de l’espace invite à y entrer presque sur la pointe des pieds. Dès le seuil, on est sûr d’y faire des découvertes.
Au côté des grands maîtres du passé que Picasso a étudié, aimé ou qui l’ont inspiré comme Chardin, Courbet, Renoir ou Cézanne, on découvre des toiles de ses contemporains et intimes comme Braque, Matisse ou Derain avec lesquels il échangeait des œuvres. Picasso n’a pas constitué sa collection dans l’idée d’acquérir l’œuvre rare, mais a pourtant accumulé quelques pépites. Il recherchait, au contraire, une proximité affective, souhaitait s’entourer d’« œuvres amies » qui entreraient en connivence avec sa propre production artistique. Cette collection doit autant au hasard – comme pour ce « Portrait de femme » (1895) du Douanier Rousseau, chinée chez un brocanteur (sic) –, qu’aux opportunités offertes par le marché de l’art (série de monotypes érotiques réalisés par Degas dans les maisons closes). Y figurent aussi, comme un hommage à ses amis artistes, des productions personnelles que l’on pourrait dire « inspirées de… » Et c’est un étonnement que de voir cet « Atelier de Californie » (1956) dont la touche, quoi que picassienne, est fort proche de celle d’un Matisse !
Sa collection fournissait à Picasso une sorte de « réservoir de formes », tout comme l’était sa collection personnelle de sculptures primitives africaines ou océaniennes acquises à partir de 1907. « Nous sommes les héritiers de Rembrandt, Vélasquez, Cézanne, Matisse. Un peintre a toujours un père et une mère, il ne sort pas du néant », avait-il coutume de dire.
Valérie Maillard
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