Le Corbusier à froid

Marc Perelman. Le Corbusier. Photo: Les Soirées de ParisAlors que le Centre Pompidou s’apprête, fin avril, à proposer une rétrospective inédite de Le Corbusier à l’occasion du cinquantenaire de sa mort (1887/1965), un livre à contre-courant sortira dès le 9 avril pour tenter de mettre un bémol au mythe de l’architecte « humaniste ».

Architecte de formation, essayiste et professeur à l’université de Nanterre-La Défense, Marc Perelman veut rappeler avec son opus de quelque 250 pages, en quoi la vision, les visions de Le Corbusier, étaient empreintes de totalitarisme.

Le premier chapitre est consacré à la somme des thuriféraires et des contempteurs, soit les pour et les contre, ces derniers étant nettement moins nombreux selon Marc Perelman. Encore qu’entre les deux il y a les « ni pour ni contre bien au contraire » comme le disait Coluche, c’est à dire ceux qui admettent certains hiatus moraux chez Le Corbusier mais trouvent moyen d’en édulcorer la portée ou d’en excuser la gravité.

Le fait est que cet architecte dont les capacités intellectuelles et artistiques sont à l’occasion remarquables, entretenait en lui des schémas de bonheur qu’il aurait bien imposé à tout le monde, via des projets urbanistiques globaux allant jusqu’à l’hygiène et au sport. Pour lui ce n’est pas au peuple de décider mais à leurs chefs. Il avait défini l’homme standard (le Modulor) avec ses un mètre quatre vingt trois sous la toise et pensait plus largement que de l’ordre seul pouvait résulter une société heureuse. De quoi le qualifier d’humaniste comme le présente dans ses annonces préalables le Centre Pompidou ? « Cela restera pour moi un mystère, soupire l’universitaire, que des gens a priori intelligents ne soient pas capables de voir ce qu’ils ont sous les yeux. La ville radieuse, la ville de 3 millions d’habitants, (projets de Le Corbusier ndlr) etc… soit la destruction de la ville historique, sont pourtant à l’exact opposé de ce que l’on pourrait imaginer d’une ville humaniste ».

Comme le sous-titre Marc Perelman, Le Corbusier avait une « froide vision du monde », où l’homme avait son plein rôle à côté d’une épouse cantonnée à des tâches bien précises que l’on peut dire secondaires. Dans le même ordre d’idées il n’aimait pas les juifs et non plus les prolétaires. La domination ne se conçoit chez lui que dans un seul sens (le sien) et Le Corbusier fustige les démagogues qui voudraient mettre « la base de la pyramide en haut et la pointe en bas ». Le haut semble chez lui tout à la fois le point de repère et l’objectif de la perfection.

Ce livre est très intéressant dans la mesure où il met de fait en résonance ceux qui mettraient bien aujourd’hui notre vie en coupe réglée au nom de la santé, de la sécurité…

Maison Savoye. Le Corbusier. Pavillon du gardien. Photo: Les Soirées de Paris

Maison Savoye. Pavillon du gardien. Photo: LSDP

Il ressort donc de ces pages l’aspect le moins développé du célèbre architecte, expédié en général en quelques lignes et seulement quand celui qui tient la plume y pense. Marc Perelman fait nettement ressortir un vaste consensus autour de l’auteur de la maison Savoye. Mot d’ordre convenu qui étouffe ou occulte les travers d’un homme et notamment son attitude pour le moins conciliante sous Vichy. Pour son contempteur, pas question de lâcher sur ce point : « Désolé, mais à 54-55 ans on sait où l’on va et où l’on est quand on se précipite à Vichy et qu’on y reste 17 mois et demi », précise-t-il aux Soirées de Paris.

Il est à noter que l’intérêt de la prochaine rétrospective Le Corbusier au Centre Pompidou dévoilera d’autres volets de son travail, notamment ses œuvres peintes qui méritent plus qu’un coup d’œil pour leur valeur strictement artistique.

Ce portrait charge de Le Corbusier  aux éditions Michalon est délibéré. Son auteur a « préféré analyser en toute partialité (…) les conceptions architecturale et urbaine de Le Corbusier ». Parions que Marc Perelman sera peu entendu. Le nom de Le Corbusier sonne à l’architecture comme celui Monet à l’impressionnisme ce qui signifie que toute émission de contestation frôle le crime de lèse-consensus.

A côté d’un univers de réalisations quelquefois réussies, modernes, élégantes, il y avait chez cet homme que l’on tente d’éterniser comme  humaniste une pensée froide qui conceptualisait le bonheur en une sorte de géométrie euclidienne implacable.

PHB

Lire sur la villa Savoye

Et sur le « cabanon » de Le Corbusier

Beaucoup plus sur le web (INA et presse):
Un interview de LC par Jean-marie Drot (1956)

Le point de vue de Salvador Dali (1964)

Dans le Point 2010 après le retrait d’une pub mettant en scène LC:
« Le Corbusier était un théoricien radical (…) et un antisémite violent », a affirmé Pierre Frey, professeur d’histoire de l’architecture à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, cité par le journal Sonntagszeitung.

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2 réponses à Le Corbusier à froid

  1. de FOS dit :

    Passionnant.

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