Les riches heures du journalisme

Le dictionnaire amoureux du journalisme. Photo: Les Soirées de ParisLe journalisme : le mot seul fait rêver mais il énerve aussi quand sa définition est incertaine. Longtemps le lecteur ou l’auditeur aurait pu croire qu’une simple carte professionnelle donnait des garanties à l’exercice du métier de journaliste et voilà que l’on découvre qu’avec l’audiovisuel ou internet bien malin qui peut donner une définition à la carte de presse.

Récemment Pascale Clark se voyait refuser le renouvellement de sa carte sous prétexte que ce que son émission sur France Inter ressortait de l’animation plutôt que de l’information, Laurence Ferrari perdait la sienne en 2013 pour la même raison sur D8. On remarquera que l’attribution de la carte n’est pas indexée sur la foi de son destinataire dans les valeurs d’un métier à défendre et c’est bien ce qui nourrit depuis longtemps les polémiques sur le sujet.

Dans son «Dictionnaire amoureux du journaliste», Serge July nous extrait de sa casse personnelle un alphabet passionné et passionnant, l’histoire d’un métier. Les histoires d’un métier qui nous distillent l’esprit d’une profession.

« Un journaliste n’est pas un enfant de chœur et son rôle n’est pas de précéder les processions la main dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie » écrit ainsi Albert Londres. Mais même s’il fut jugé trop littéraire, trop approximatif pas assez factuel, il domine la profession telle la statue du commandeur. En passant, Serge July rapporte les propos de Pierre Assouline, son biographe suspectant Albert Londres d’avoir aussi été agent secret. Espion et journaliste, le mariage des genres peut faire rêver, il reste contre nature. Joseph Kessel, Michael Herr, Georges Orwell, Ernest Hemingway ont raconté le monde souvent à travers ses guerres. D’autres depuis ont pris le relais. Ce troisième millénaire nous a déjà appris que l’on égorge encore des journalistes.

Le propre de l’homme est peut-être la conquête, conquête de l’espace ou du savoir mais il ne peut-il y avoir de conquête sans personne pour la relater ou l’expliquer ? Parfois le journaliste doit aussi savoir écouter et faire parler, comme dans cet entretien de Claude Lanzmann extrait de son film « Shoah » et repris dans le livre de Serge July.

« – Pendant la période où j’étais coiffeur dans la chambre à gaz à Treblinka, les femmes sont arrivées avec un transport provenant de ma ville. J’en connaissais un grand nombre. Un de mes amis, il était là près de moi lorsque sa femme et sa sœur sont entrées.
– Continuez Abe, il le faut.
– je ne pourrai pas.
– Il le faut, pardonnez moi. (…)
– Qu’a-t-il répondu quand sa femme et sa sœur sont entrées ?
– Il tentait de leur parler, derrière se trouvaient les nazis, pourtant faisait pour elles le maximum, rester avec elles, une seconde, une minute de plus, les étreignant, les embrassant (…)» Que répondre ? Rien bien sûr, se taire à son tour et ne jamais oublier. Là est aussi la tâche du journaliste.

Tout devient virtuel, la presse n’est plus ou est de moins en moins imprimée et si le journaliste écrit un «papier» ce n’est plus sur une feuille A4 mais dans le format défini par une maquette sur son écran ordinateur. Internet inquiète, on a raison la rumeur y trouve son terreau. De tout temps, le bidonnage a existé. Parfois on s’en amuse, s’il s’agit de l’arrivée triomphale de Nungesser et Coli dans les rues de New-York, après la première traversée de l’Atlantique. On ne saura jamais ce qu’ils sont devenus. Parfois on s’en inquiète. On attend encore les preuves des armes de destructions massives qui ont conduit à la guerre en Irak. Je me souviens des plans des véritables villes souterraines publiés par nos hebdomadaires d’information dans lesquelles Saddam Hussein ou Ben Laden s’étaient réfugiés. Les centaines de milliers de morts en rient encore. Mais il est vrai que les Etats-Unis avaient fourbi leurs armes au temps de la guerre du Vietnam. Mais aujourd’hui, que penser de ces temps où l’affirmation complotiste devient information du fait même qu’elle circule dans les veines du Net.

La presse. Photo: LSDP

La presse. Photo: LSDP

Je feuillette le « Dictionnaire amoureux du journaliste » mais mon esprit est ailleurs. J’avais écrit un jour dans un bouquin sur la presse régionale qu’elle était la somme de toutes les vies. La presse portait ses propre rêves dans le vacarme des rotatives, avec le crépitement des télex qui débitaient par bandes de papiers bible, blanche, bleue ou jaune les nouvelles du monde, la musique des bélinos qui ligne après ligne sortaient leurs photos. Le journalisme était la somme de tous les restos, pots, apéros, pastis du midi, whisky du soir. L’alcool ne conserve pas ou mal le journaleux. Un monde parmi d’autres, plein d’autres mais qui se résume en un mot : Presse. Presse pour imprimer l’information ou presse pour l’urgence de donner l’information. Le bruit de la roto le soir. Une fois je l’ai fait taire.

C’était à Nord Matin, au début des années 80, vers minuit les télex crachent leurs pelures. Roger Couderc, un journaliste sportif de la télévision qui avait donné ses lettres de noblesse au rugby, est mort. «On arrête, je repique la Une.» Le ton est calme mais le cœur bat la chamade. Le silence s’est installé dans l’atelier, l’imposante rotative s’était tue. Je dicte à un typo mon papier. Ses dix gros doigts survolent le clavier. Un correcteur vieille au grain sur son épaule, il n’y aura pas de correction. Le bélino a édité sa photo, elle est déjà dans les mains du photograveur. L’article est monté en lieu et place d’un autre. «Ca roule», la roto sonne, puis ce bruit de train qui roule et s’accélère ; bientôt j’ai entre les mains le journal avec sa nouvelle Une.

Le journalisme est aussi une histoire d’atmosphère.

Le syndicat du livre, aurait pu avoir sa place dans ce dictionnaire ? Un jour je vous raconterai mes guerres…

Bruno Sillard (carte de presse 52724)

Dictionnaire amoureux du journalisme. Serge July. Plon

N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Livres, Presse. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

5 réponses à Les riches heures du journalisme

  1. person philippe dit :

    Est-ce que July était le candidat idéal pour faire un « dictionnaire du journalisme » ?
    Pour moi, il était plutôt indiqué pour un « dictionnaire des éditorialistes »…
    Cher Bruno, y a-t-il dans son « Dico » une entrée « journalisme de révérence » ? Parle-t-il des « Chiens de garde » de Serge Halimi ?
    Sur July, je vous recommande de vous replonger dans l’irremplaçable bouquin de Guy Hocquengem : « Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary »…
    Je me souviens aussi d’une vidéo (volée) qu’un copain mal pensant avait tournée… C’était l’anniversaire de July. Sa petite amie lui avait fait une surprise… Il rentrait chez lui… et tous ses amis étaient là… Et ce n’était pas très déontologique, tous ces ministres, ces artistes, ces écrivains réunis sous le même toit du « grand » journaliste…
    Plus généralement, j’ai toujours été déçu par cette collection Plon, ou sauf exception, la flamme ne passe pas chez ceux qui prétendent traiter d’un sujet qui leur tient à coeur…
    Sur le journalisme, je vous recommande deux bijoux d’Evelyn Waugh, « Scoop » et « Diablerie »…

  2. 102108 dit :

    Merci 52724, vivement le récit de tes guerres …

  3. 72300 dit :

    Merci aussi 52724. J’attends moi aussi le récit de ces « guerres » qui sont peut être quelque peu les miennes. A l’heure où je vous écris je risque de perdre ce numéro auquel je tiens comme nous tous y tenons parce qu’il résume la somme de nos droits et devoirs professionnels. Pas plus pas moins. Je ne sais plus qui a dit le premier « journaliste un jour, journaliste toujours. » Je continuerai donc à faire du journalisme comme je l’ai toujours fait, comme une journaliste. Carte ou pas.
    Encore merci pour ce beau moment de lecture.

  4. de FOS dit :

    31 018. A mon actif, une assignation en refus d’insertion, une assignation en diffamation et une convocation Quai des Orfèvres pour recel d’informations confidentielles. Mais jamais de condamnation. Et toujours cette petite carte tricolore délivrée à titre « honoraire » qui m’est chère et qui prouve qu’elle ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

  5. de FOS dit :

    Heu… Philippe, je ne te fais pas peur ?

Les commentaires sont fermés.