La magie opère dès le lever de rideau. Ils sont tous là, immobiles. Oisifs, fiers ou piteux, ils s’ennuient, boivent plus que de raison, dissertent sur l’état de leur grand pays qu’est la Russie ou sur l’amour. Ils font tout cela et bien davantage encore, mais ils sont immobiles, ils nous attendaient, ces estivants.
Les voilà donc en vacances, dans une datcha du bord de mer comme de juste. Maxime Gorki les a imaginé au tout début du XXe siècle, ils se présentent à nous jusqu’au 25 mai en alternance dans la salle Richelieu de la Comédie Française. Et c’est un bonheur de théâtre. Pas d’esbroufe, c’est lent et le plus souvent calme, mais quel plaisir de partir un siècle en arrière parmi ces petits-bourgeois de Saint-Petersbourg.
Le plaisir donc surprend le spectateur dès le premier tableau, qui voit ces personnages s’animer en une suite fluide de tableaux, c’est un vrai Lac des Cygnes, une suite de conversations intimes, de discussions de groupes plus ou moins animés, de palabres riches d’espoir ou de résignation, de rires et de larmes. Le décor (beaux bouleaux) et la mise en scène, de Gérard Desarthe, les costumes et le jeu des comédiens, tout participe avec justesse à orchestrer ce ballet. Jusqu’aux lumières, des lampions au clair de lune aux matinées de chasse.
Il y a l’écrivain, bien sûr, le vieil industriel, le jeune fougueux, la femme médecin contestataire. Tout cela à l’aube des révolutions russes. Bientôt ces estivants oisifs seront balayés par l’histoire. Gorki nous les présente intimement. Ils n’ont pas peur, ils sont juste bien las, las des privilèges, las de leur plus ou moins grande fortune. Ils voudraient de la nouveauté mais sont au bord du précipice. Gorki leur tient la main pour le petit pas qu’il leur reste à franchir.
Et on se laisse prendre, avec délectation, à ce piège, russe jusqu’au bout des ongles d’Olga Alexéevna et des bottes boueuses de Piotr Ivanovitch. Ils sont là tous les deux, bien sûr, sans oublier Pavel Sergueïevitch et Youlia Filippovna, et toute cette ribambelle d’inévitables personnages russes aux noms si typiques. Tous vont et viennent, s’égarent, se perdent pour ce bon. Douce nostalgie d’un autre siècle. Sur les planches de la Comédie Française, rien n’a bougé. Les Estivants nous attendaient.
Byam
La porte de vacances . Jusqu’au 25 mai