C’est un problème depuis longtemps connu par les usagers des drogues: les moments se dilatent ou se contractent, une heure peut valoir deux heures et inversement. Dans « Inherent vice », le film de Paul Thomas Anderson dont l’action se déroule dans le Los Angeles des années 70, il y avait à coup sûr bien autre chose que de la pomme dans la cantine de la production.
Au MK2 Gambetta, un homme est sorti précipitamment et un couple s’embrassait pour tuer le temps avant de s’endormir. Le film est ponctué de temps morts phénoménaux propres aux fumeurs de joints. Et l’on en sort avec la satisfaction d’avoir soi-même tenu.
Car Inherent Vice, dont le nom signifie quelque chose comme impondérable, hasardeux, vaut l’effort d’être patient. Il est inspiré d’un livre de Thomas Pynchon, l’un des plus mystérieux écrivains américains vivants. Le « pitch » mais on pourrait aussi dire le « pschitt » vu l’effet produit sur notre état mental, repose sur un détective de Los Angeles chargé de résoudre une énigme policière tout en cherchant à récupérer un ami musicien et une petite amie. Grosso modo, car « Inherent Vice » a ceci de commun avec le « Faucon Maltais » que l’intention est pour le moins floue et qu’il y a de quoi se retrouver à maintes reprises largué durant la projection. A croire que de la fumée prohibée, diffusée par le sol, s’infiltre à notre insu dans nos narines. Mais cela fait un bon sujet de discussion après coup, afin de voir si chacun a compris la même chose.
En fait, comme pour le Faucon Maltais on l’a dit, « Inherent Vice » fonctionne à l’ambiance. Dans le Los Angeles des années hippies, Lary Sportello, « Doc », est un détective privé fringué comme un rocker. Il n’a pas l’air défoncé, il est défoncé. Il lui arrive de croiser des gens du FBI ou du LAPD en costard qui le considèrent avec beaucoup de mépris tout en ayant besoin de lui.
C’est là que le film est souvent drôle et finalement attachant malgré des longueurs concurrençant en attrait une file d’attente de la sécurité sociale. Sous ses airs objectivement abrutis, Lary Sportello raisonne juste et avance dans son enquête avec un instinct assez sûr. Dans les années soixante dix, les lycéens qui fumaient appelaient ça « marcher au radar », une sorte d’instinct réduisant les choses à l’essentiel, qu’elles soient géographiques ou métaphysiques. « Inherent Vice » marche indéniablement au radar.
Certaines scènes sont très drôles et elles frappent dans la mesure où elles réveillent un peu, d’autres sont sensuelles tout en étant barrées si l’on veut bien passer sur l’expression et, par ailleurs, le réalisateur a réalisé le tour de force, compte tenu de tout ce qui a été dit plus haut, de placer une scène d’action qui débarrasse le corps du spectateur de l’ankylose générale qui le guettait.
Déjanté, « Inherent Vice » taille la route à la marge. Ses personnages sont tous désaxés et dans ce tumulte lent, pâteux, il y a la main de Lary Sportello qui nous guide vers la sortie du bocal où nos proches attendaient, soucieux que la présence de bulles à la surface de l’eau témoignassent enfin de notre retour à la vie.
PHB
Philippe lire ton article de bon matin, m’ a fait bien rire ! imaginaire et souvenirs réjouissant ! je voulais y aller mais je vais peut être changer mes plans pour « Anton Tchekhov 1890 », autre siècle, autre ambiance !
Nathalie
Bonne intuition, Nathalie ! Anton Tchekhov 1890 est le film à voir cette semaine. C’est d’ailleurs mon choix sur Froggy’s Delight, le site où j’écris cinéma…
René Féret fait du cinéma avec son coeur depuis 40 ans. Si l’on additionne les budgets de ses vingt films on n’obtiendra peut-être même pas le coût d’une bobine d’Inherent Vice…
Pour ma part, je vais au cinéma depuis toujours. 200 films vus les mauvaises années, 400 ou plus les bonnes… Et je n’ai jamais supporté aucun des films de Mr Anderson…
Faiseur cynique, adulé par les gogos de la bonne facture, il appartient à ce que le cinéma américain post post post hollywood fait de pire. Comme Scorsese ou les Coen, c’est la négation des Ford, des Hawks, des Cukor, des McCarey…
Un esprit de merde apôtre de la violence gratuite, prétendant dénoncer la médiocrité pour mieux s’y vautrer, avec une prétention d' »Auteur » importée hélas de chez nous…
Bref, j’ai vu des milliers de films et j’ai rarement quitté mon siège… Sauf pour Magnolia de Mr Anderson…
J’avoue que j’ai zappé Inherent Vice. J’avais voulu reprendre le fil coupé avec « There will be blood »…. Peine perdue… PTAnderson est un cinéaste de l’effet, un visionnaire du vide… comme disait Bernadette Lafont à Jean-Pierre Léaud dans « La Maman et la Putain » : « Vous êtes un dégoûtant »… Oui, Mr Anderson est un dégoûtant. Il salit avec ses images l’innocence qui reste en chacun même après des décennies de turpitudes…
Vive René Féret… et pour ceux qui aiment le grand cinéma, exigeant, austère, tarkovskien : allez vous confronter aux quatre heures de « A la folie » de Wang Bing…
en attendant les grands rendez vous à venir :
« Leopardi » de Mario Martone avec une SUBLIME photo de l’immense Renato Berta
« Un pigeon sur une branche réfléchissant sur l’existence » de Roy Andersson… Si vous ignorez qui est ce génial Suédois, je vous engage tout de suite avant la sortie d »Un Pigeon… » de vous procurer « Chansons du deuxième étage »….
Andersson aurait été dadaïste ou surréaliste… Il y a en lui du Raymond Roussel… L’autre Anderson, avec un s de moins, est à remiser dans le placard des petits maîtres si on le compare à son presque homonyme scandinave…
Philippe, quelle descente en flèche du sieur Anderson!! Le moins que l’on puisse en conclure en lisant ton billet à l’acide sulfurique, c’est qu’il faut fuir les images produites par ce pauvre et sombre individu!!! Une bonne page enragée est tellement agréable à lire!
Le ciel blanc grisâtre au dessus du Val de Loire n’est pas dû à la médiocrité castratrice d’Anderson mais à l’éclipse qui ne nous aura guère brûlé les rétines aujourd’hui!!! Comment visualiser avec mon écumoire les jolis dessins en croissants dessinés sur les ombres portées de ses trous circulaires sur une feuille de Canson blanc? Trop laiteux et épais, les nuages qui nous protègent de ces étranges rayonnements rarissimes… Sur le Net, il y aura des quantités d’images de cette éclipse mais il manquera le charme du danger de l’observation directe du phénomène et du plaisir de ruser et de l’observer malgré tout par les images secondaires observables sans lunettes et dangers! Salut, la Lune… On va te retrouver pâlotte et discrète dans le ciel de la nuit… Avec ton mystère et ta lumière opalescente et douce…