L’Institut culturel italien de Paris sert d’écrin à l’échantillonnage des œuvres de Carlo Mollino, architecte-designer de talent né au début du siècle dernier et disparu en 1973. Le lieu de l’exposition vaut à lui seul le déplacement. Situé en plein cœur du faubourg St-Germain, l’hôtel de Galliffet en impose par ses salles à colonnes, ses incroyables hauteurs sous plafond et sa surprenante vue sur jardin. Propriété de l’Etat italien depuis 1909, il accueillit jadis Chateaubriand, Madame de Staël et Benjamin Constant. Entre autres illustres personnalités.
Du Turinois aujourd’hui à l’honneur dans l’établissement, on retient qu’il fut touche-à -tout de génie. Une sorte de Le Corbusier à l’italienne, un cran en dessous du compatriote Léonard de Vinci tout de même ! Son œuvre est inventive, audacieuse, éclectique et foisonnante. Car Carlo Mollino fut à la fois architecte, sculpteur, dessinateur et décorateur.
Bâtisseur en haute montagne comme en terrain dénivelé, il fit montre d’audace pour ériger des volumes tutoyant le déséquilibre. En témoignent ces plans coupe de bâtiments, ces maquettes, ces photographies de chalets comme suspendus dans le vide. Le dynamisme aussi fut son fort, à voir cette futuriste entrée de « casa » en forme de planche de surf – un sport à l’époque tout juste débarqué en Europe. Tirait-t-il ce goût de l’équilibre précaire et du danger de ses exploits sportifs ? Toujours est-il qu’on le voit photographié en « aile volante » avant l’heure, dévalant les pentes neigeuses son domaine de prédilection. Il pratiquait le ski de haut niveau.
Pour ce qui est de l’intérieur de ses « casa », le décorateur se montre davantage soucieux d’équilibre des formes. Harmonie et esthétisme sont perceptibles dans les mobiliers qu’il conçoit, au travers de ses crayonnés (très sûrs), des photos de ses fabrications (uniques), des pièces originales exposées. Incroyables de modernité, ces chaises aux dossiers étroits. Admirables de finesse du délié, ces autres sièges tracés d’une seule ligne de métal comme d’un fin trait de pinceau.
Ou ces tables à angles arrondis faites de verre et de bois si délicieusement rétro… qu’on les retrouve aujourd’hui dans les intérieurs cosy- cossus des abonnés à Domus ! La mode, à l’inverse de l’histoire, ressert volontiers les plats… Et comme l’accessoire suit souvent de près le principal, Carlo Mollino a dessiné des lignes de couverts de table. Il conçut aussi cette astucieuse idée de cuisine ouverte/ fermée (par une sorte de rideau qu’on abaisse) – compromis propre à satisfaire les Horaces de la béance (au nom de l’espace) et les Curiaces de l’obturation, que préoccupent les désagréments olfactifs.
L’exposition réserve une place de choix au projet de Casa del Sole de Cervinia. Une maison d’altitude conçue et réalisée par le Turinois avec tout son mobilier en 1954. Des meubles uniques qu’on s’arrache aujourd’hui puisque cinq d’entre eux ont trouvé acquéreurs chez Christie’s pour la modique somme de trois millions de dollars, livre la notice de l’exposant.
L’homme s’est fait ingénieur en concevant un engin motorisé record de vitesse en 1955. On peut en voir la maquette, un bolide à l’étonnant profilé de requin dont il arbore la robe gris-métallisé. Il fut enfin photographe, s’aménageant trois appartements exclusivement dédiés à cet art. Il se consacra d’abord au noir et blanc surréaliste et symboliste (années 30), puis au portrait de femmes (années 50) pour terminer (à partir des années 60) par le nu féminin, exclusivement saisi au Polaroïd. Des clichés d’un soft et statique érotisme compilés dans un book. A le feuilleter, on s’amuse des postures à la Marlène Dietrich, blondes et brunes arborant sans complexe un tablier de sapeur à l’heure où l’épilation fait rage…
Les amateurs d’intérieurs lumineux (dont je fais partie) craqueront pour ce sobre panneau monumental fait de 25 carreaux noirs et blancs dessinant, façon mosaïque, un arbre harmonieusement feuillu. Il illumine un séjour mieux qu’une fenêtre sur jardin.
Guillemette de Fos
La Casa di Mollino, 50 rue de Varenne, jusqu’au 30 avril 2015, entrée libre
Merci pour l’information : je vais aller voir cette exposition !